Elsa Dorlin est maître de conférences en philosophie à Paris-I. Ses travaux portent sur l’histoire de la médecine, les théories féministes et la production du racisme.
La race a une histoire, qui renvoie à l’histoire de la différence sexuelle. Au XVIIe siècle, les discours médicaux conçoivent le corps des femmes comme un corps malade et l’affligent...
La race a une histoire, qui renvoie à l’histoire de la différence sexuelle. Au XVIIe siècle, les discours médicaux conçoivent le corps des femmes comme un corps malade et l’affligent de mille maux : « suffocation de la matrice », « hystérie », « fureur utérine », etc. Le sain...
La race a une histoire, qui renvoie à l’histoire de la différence sexuelle. Au XVIIe siècle, les discours médicaux conçoivent le corps des femmes comme un corps malade et l’affligent de mille maux : « suffocation de la matrice », « hystérie », « fureur utérine », etc. Le sain et le malsain justifient efficacement l’inégalité des sexes et fonctionnent comme des catégories de pouvoir. Aux Amériques, les premiers naturalistes prennent alors modèle sur la différence sexuelle pour élaborer le concept de « race » : les Indiens Caraïbes ou les esclaves déportés seraient des populations au tempérament pathogène, efféminé et faible. Ce sont ces articulations entre genre, sexualité et race, et leur rôle central dans la formation de la Nation française qu’analyse Elsa Dorlin, au croisement de la philosophie politique, de l’histoire de la médecine et des études sur le genre. La Nation prend littéralement corps dans le modèle féminin de la « mère », blanche et saine, opposée aux figures d’une féminité « dégénérée » – la sorcière, la vaporeuse, la vivandière hommasse, la nymphomane, la tribade et l’esclave africaine. Il apparaît ainsi que le sexe et la race participent d’une même matrice au moment où la Nation française s’engage dans l’esclavage et la colonisation.
Elsa Dorlin est maître de conférences en philosophie à Paris-I. Ses travaux portent sur l’histoire de la médecine, les théories féministes et la production du racisme.
Préface
Intdocution
I / Les maladies des femmes
1. Le tempérament
La fabrique du sexe - Les philosophies de l'égalité des sexes
2. La maladie a-t-elle un sexe ?
Engorgées, suffoquées, obsédées - L'hystérie : protée ou chimère ?
3. Des corps mutants : prostituées, Africaines et tribades
Un précédent : les « mules du démon » - Furieuses et fricatrices
4. Fureur et châtiments
De la fureur à la nymphomanie - Reféminiser les Européennes
II / L'engendrement de la nation
5. Les vapeurs de la lutte des classes
Les vigoureuses paysannes : un modèle transitoire de santé - Domestiques nymphomanes et bourgeoises hystériques
6. La naissance de la « mère »
L'élaboration d'un concept de santé féminine - La rhétorique féministe des médecins natalistes
7. Épistémologie historique des savoirs obstétriques
Matrones et sages-femmes - Secrets des femmes vs science obstétrique
8. Le lait, le sang, le sol
Une démiurgie monstrueuse : les nourrices - Du dépeuplement à la dégénérescence - Hybridité des peuples et marchés aux esclaves
III / La fabrique de la race
9. La Nation à l'épreuve des colonies
La question de l'autochtonie - Du corps colonial au corps national
10. Généalogie du racisme
L'émergence du concept moderne de la race - Du tempérament de sexe au tempérament de race
11. Les « maladies des nègres »
Médecine coloniale et médecine esclave - L'esclavage, un régime de santé - De la pathologisation à la racialisation
Épilogue : Défaire la race
Bibliographie
Index des notions.
C’est un tour de force que réalise Elsa Dorlin dans cet ouvrage d’histoire et de philosophie des sciences en montrant comment, à partir de l’Age classique, le discours médical a pu fonder à la fois le rapport de domination sexiste, mais aussi racial. S’appuyant sur une abondante littérature médicale et adoptant une démarche foucaldienne, elle montre d’abord comment, de l’Antiquité jusqu’au XVIIe siècle, le corps des femmes est le modèle du corps malade. Cette conception pathologique du corps féminin justifie la domination masculine. Les choses changent au XVIIIe siècle avec la mise en place d’une politique nataliste qui va favoriser l’émergence d’une figure féminine incarnant la santé, la mère allaitante et aimante, laquelle renvoie au corps de la nation. Dans un second temps, l’analyse de la pensée raciale l’amène à montrer comment le discours médical justifiera la domination coloniale. Selon un mécanisme similaire, qu’E. Dorlin nomme « nosopolitique », la médecine coloniale pense le corps des peuples dominés comme foncièrement malade, donc inférieur. On comprend alors le titre de son livre. S’il y a « matrice de la race », c’est dans un double sens : un sens génétique, « la conceptualisation de la différence sexuelle étant le moule théorique de la différence raciale », et un sens plus précis encore parce que « sexe et race ont une même matrice », en l’occurrence, dans le discours médical de l’époque, le concept de tempérament et une certaine classification des pathologies