À ceux qui considèrent l'immigration comme un fléau, il faut rappeler quelques données historiques. Le migrant n'est pas sorti d'un chapeau dans la dernière décennie du xxe siècle avec pour seule justification de donner à l'extrême droite l'occasion d'occuper, un temps, le devant de la scène médiatique. La France a toujours été un carrefour ethnique. Ici, les blonds venus du Nord et les bruns du Sud se sont frottés dès l'Antiquité. Les Saxons, les Francs, les Gaulois, les Romains et bien d'autres ont mêlé leur sang, les sonorités de leurs mots, leurs regards sur les arts et leurs goûts culinaires. Comment quelqu'un pourrait-il dire qu'il accepte les influences extérieures seulement jusqu'au xvie ou xviie siècle, époque où se serait façonnée une France classique et quasiment immuable dans sa composition sociale et ethnique? […] Un quart de siècle plus tard, les choses n'ont pas changé aussi fondamentalement qu'on le pense parfois. Le coup d'arrêt donné officiellement à l'immigration en France au début du septennat de Valéry Giscard d'Estaing n'est resté que ce qu'il pouvait être: une décision administrative. Les entreprises sont toujours à la recherche du même type de main d'œuvre. Alors que 9% de la population active est inscrite sur les fichiers de l'ANPE, certaines offres des entreprises ne trouvent pas preneurs chez les demandeurs de nationalité française. Les étrangers, parfois même en situation irrégulière, sont les bienvenus, plus souvent qu'on ne le croit et pas seulement dans la confection, la restauration ou le bâtiment. Autrement dit, l'appel d'air entre l'offre et la demande se maintient. Et il est extrêmement difficile d'arrêter les courants d'air.Mais je souhaiterais que l'on cesse de regarder le seul aspect européen de ce phénomène. Car si chacun a son point de vue sur l'immigration, tout le monde se fiche de l'émigration. Or, dans le pays d'Afrique, c'est chaque fois un fils qui s'en va. Celui qui prend l'avion ou qui s'embarque plus ou moins clandestinement sur un cargo de passage apportera peut-être plus tard un peu d'argent à sa famille, à son village. Mais quand il part, il se déchire en deux. Il faut que l'Afrique offre à ses enfants de bien tristes horizons pour qu'ils soient si nombreux à vouloir s'exiler.