La nuit de noces - Une histoire de l'intimité conjugale : Le livre de Aïcha Limbada

«Un homme et une femme sont unis selon les rites symboliques sous les yeux de tous ; mais dans le secret du lit ce sont des individus concrets et singuliers qui s’affrontent.» Simone de Beauvoir L’essai d’Aïcha Limbada, chercheuse associée au Centre d’histoire du XIX#7497; siècle, spécialiste de la famille et de la conjugalité, traite un sujet mal connu parce qu’intime, même si l’expression «nuit de noces» est galvaudée et a fait l’objet de beaucoup de grivoiserie. L’enquête de l’autrice porte sur un bon siècle, du début du XIX#7497; siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres. Durant la première moitié du XIXème siècle, un grand nombre de jeunes filles sont maintenues dans l’ignorance absolue des «réalités du mariage», périphrase pour la sexualité, qui en dit long sur l’écart entre l’imaginaire du mariage et son aspect concret. On a considéré parfois dès cette époque la nuit de noces comme un «viol légal» . Dans la seconde moitié du siècle, le manuel conjugal se développe, au vu des inconvénients de la «pédagogie de l’ignorance», qui peut entraîner des situations dramatiques, comme en témoignent les archives judiciaires du Vatican. C’est en effet dans leurs archives apostoliques et dans celles des tribunaux catholiques qu’Aïcha Limbada a trouvé le plus de matériaux sur ce sujet, et elle a examiné leurs procédures judiciaires entre 1865 et 1921 : dossiers de plaintes et dépositions en vue d’obtenir, soit l’annulation du mariage, soit une dispense autorisant le remariage civil et religieux. Documents à charge sur la nuit de noces, ces archives font entendre les voix des plaignantes principalement, et relatent ces expériences vécues de façon très concrète. A l’instigation des écrivains (notamment Balzac, George Sand, Zola, Maupassant, Edmond de Goncourt et même Léon Blum*), des prêtres, des magistrats, des médecins, les manuels à l’usage des futurs mariés se répandent et, à la Belle Epoque, au début du XXème siècle, l’ignorance des jeunes filles ne semble plus une vertu aussi prisée ; on constate une certaine tolérance envers les relations sexuelles prénuptiales des femmes, le développement de la pratique du flirt et la valorisation du mariage d’amour, même si le discours moralisateur catholique sur la virginité persiste. Les raisons en sont multiples. Les médecins notent que cette première relation joue un rôle déterminant dans le bonheur et l’entente du couple, en raison des frustrations et des traumatismes qu’elle peut entraîner et souhaitent autant informer l’homme que la femme, pour remédier au manque de connaissances de celui-là sur celle-ci. Les prêtres aussi s’emparent du sujet, surtout après le rétablissement de la loi sur le divorce en 1884, craignant qu’ils ne se multiplient ; mais ils ont une autre raison à faire valoir, la crainte que l’ignorance de la jeune fille ne permette au mari des pratiques «vicieuses», non conformes, et une manipulation de son épouse. Enfin, certains écrivains n’hésitent pas à s’engager pour que, comme l’écrit George Sand à son demi-frère Hippolyte Chatiron en 1843, les jeunes filles ne soient plus «élevées comme des saintes, puis livrées comme des pouliches». Ces discours et ces témoignages sur le passé montrent l’inégalité très profonde inscrite dans la loi entre l’homme et la femme, cette domination de genre, qui se répercute dans la nuit de noces. Ils résonnent étrangement avec les recherches et les réflexions menées actuellement sur le couple hétérosexuel, en particulier sur le consentement et sur le désir féminin qui, comme le note l’autrice, était à cette époque un «impensé de la nuit de noces». * Balzac : Physiologie du mariage (1829), Une fille d'Eve (1839), La femme de trente ans (1842) George Sand : Rose et Blanche (1831), Valentine (1832) Zola : Thérèse Raquin (1867) Maupassant : Une vie (1883) E. de Goncourt : Chérie (1884) L. Blum : Du mariage (1907)