Les aventures de la marchandise : Le livre de Anselm Jappe

Poche

La Découverte

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Reprenant l'analyse de Marx sur le fétichisme de la valeur marchande, Anselm Jappe montre à quel point elle reste saillante pour appréhender notre époque, assez proche, en ce qui regarde son rapport à la valeur, des débuts du capitalisme.

Initialement publié en 2003, ce livre présente de manière à la fois précise et tranchante le courant de critique sociale connu sous le nom de " critique de la valeur " et initié en Allemagne par Robert Kurz dans les années 1980. Procédant à une relecture de l'œuvre de Marx bien différente de celle donnée par la quasi-totalité des marxismes historiques, ce courant propose des conceptions radicalement critiques de la société capitaliste, tout entière régie par la marchandise, l'argent et le travail.
Anselm Jappe insiste notamment sur un aspect aussi central que contesté de la " critique de la valeur " : l'affirmation selon laquelle, depuis plusieurs décennies, le capitalisme est entré dans une crise qui n'est plus cyclique, mais terminale. Si la société fondée sur la marchandise et son fétichisme, sur la valeur créée par le côté abstrait du travail et représentée dans l'argent, touche maintenant à sa limite historique, cela est dû au fait que sa contradiction centrale – qu'elle porte en elle depuis ses origines – est arrivée à un point de non-retour : le remplacement du travail vivant, seule source de la " valeur ", par des outils technologiques de plus en plus sophistiqués.

De (auteur) : Anselm Jappe

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3.50 sur 5 étoiles

• Il y a 2 mois

La dichotomie entre pensée exotérique et pensée ésotérique chez Karl Marx, que j'ai déjà rencontrée dans la critique du travail allemande contemporaine, est une idée d'Anselm Jappe qui, dans cet ouvrage, s'attelle précisément à une analyse très poussée de cette dernière. Si la première oppose le capital (et la classe capitaliste) au travail (et au prolétariat), le concept de « valeur », noyau de la seconde, tel qu'il est esquissé notamment dans les _Grundrisse_, constitue un pas ultérieur dans l'abstraction, dans la complexité mais aussi dans la puissance critique anticapitaliste. Dans le système capitaliste, puisque l'on peut distinguer entre valeur d'usage et valeur d'échange, cette dernière (qui est souvent appelée « valeur » tout court) est mise en relation avec « la marchandise » (c-à-d. tout produit échangé), et avec le « travail abstrait » (c-à-d. le travail effectué contre rémunération). J'ai trouvé très intrigante et assez difficile à comprendre la raison pour laquelle, alors que les théories économiques classiques – que l'on apprend dès le lycée – s'intéressent au prix des produits, mis en relation avec la demande et l'offre (et leurs quantités respectives), afin de s'attarder sur le côté « marginaliste » (dérivée première de la fonction reliant le prix à la quantité), le travail (et son salaire) étant traité exactement à l'instar de n'importe quel autre produit échangé, Marx a éprouvé le besoin de théoriser cette « valeur » plus abstraite, et surtout de la faire reposer sur le travail. Encore plus surprenant a été d'assimiler que ce faisant, le capital devient lui-même le résultat logique – sinon historique – de ce « travail abstrait » : et Marx d'introduire alors deux distinctions ultérieures entre « travail vivant » et « travail mort » (ce dernier étant apparenté au capital), et entre « travail concret » et « travail abstrait » (ce dernier entretenant une proportionnalité inverse avec la productivité). Le point crucial de la démonstration, néanmoins, m'a paru être le suivant : l'appropriation capitaliste de la plus-value s'opère déjà dans la valorisation, donc dans le travail (plutôt qu'à travers l'échange), et surtout, c'est bien à l'intérieur du travail abstrait que se manifeste l'impératif capitaliste de la croissance illimitée. Cet impératif conduit à la contradiction fondamentale inscrite dans le travail capitaliste : d'une part c'est lui qui est « la seule source » de la valeur, d'autre part celle-ci se réduit à mesure que sa productivité augmente. Toutefois, cette équation permet à Jappe de poser son argument fondamental, prisme de compréhension de notre actualité à l'heure du capitalisme mature : la « crise » du dernier stade de ce système économique désastreux, consiste à rendre une partie de plus en plus nombreuse de l'humanité simplement « superflue », son travail étant « improductif » du point de vue de la valorisation. Sa démonstration peut se résumer comme suit. Dans l'Introduction et le chap. 1er, ces notions marxiennes compliquées sont expliquées avec une profusion de citations et également des exemples « par absurde » : qu'est-ce qu'un produit en-dehors de la valorisation, qu'est-ce que l'activité productive en-dehors du « travail abstrait » capitaliste (cf. cit. 2) ?... Cela porte à s'interroger, au début du chap. 2, sur la question de savoir si les catégories marxiennes sont historiques (relatives à la période pré-capitaliste) ou logiques, telles qu'elles s'avèrent être, dans une optique hégélienne (cf. 'vérité' vs. 'réalité'). Dans la foulée, l'on découvre que la « valeur » devient le véritable « sujet » du capitalisme, et que celui-ci est un « automate », tautologique et irrationnel, ce qui conduisit Marx à l'introduction du concept de « fétichisme », par inversion de la finalité entre l'humain et la marchandise. Dans le chap. 3, l'on commence à apercevoir les effets délétères de la contradiction intrinsèque du capitalisme : comment la valeur entre en « crise » à cause de son accroissement illimité et quelles en sont les répercussions sur le travail. Si les catégories marxiennes sont logiques et non historiques, Jappe entreprend dans le chap. 4 d'analyser le fonctionnement des économies pré-capitalistes : en particulier dans l'Antiquité et à l'époque moderne ; de ce chap., j'ai retenu toutefois la cit. 7, qui contient une interprétation très originale de l'économie soviétique. Dans le même ordre d'idées, dans le chap. 5 sont explorées les analyses effectuées par les anthropologues du fonctionnement économique des sociétés non capitalistes dites « primitives », en particulier par Mauss – auteur du célèbre _Essai sur le don_, et par Marshall Sahlins qui déconstruit le mythe que les sociétés primitives fussent miséreuses ; de ce chap., j'ai retenu la cit. 8 où Karl Polanyi critique un certain déterminisme autant chez les libéraux que chez les marxistes. Enfin la Conclusion situe l'auteur par rapport à certains courants critiques de gauche dont il prend les distances : Bourdieu, le mouvement ATTAC (défini « néo-keynésien...), Hardt/Negri (« La dernière mascarade du marxisme traditionnel »), tandis qu'il se montre plutôt proche de la critique du travail d'André Gorz, de Karl Polanyi et des décroissants tels Serge Latouche. Table [avec appel des cit.] Introduction. Le monde est-il une marchandise ? Chap. 1er – La marchandise, cette inconnue : - La double nature de la marchandise - L'abstraction réelle [cit. 1] - La valeur contre la communauté humaine [cit. 2] - La richesse au temps de la société marchande Chap. 2 – Critique du travail : - Catégories historiques et catégories logiques [cit. 3] - Le sujet automate - Ce que les épigones ont fait de la théorie de Marx - Le travail est une catégorie capitaliste [cit. 4] Chap. 3 – La crise de la société marchande : - La valeur en crise [cit. 5] - Travail productif et travail improductif - Le capital fictif [cit. 6] - La politique n'est pas une solution Chap. 4 – Histoire et métaphysique de la marchandise : - La métaphysique et les « contradictions réelles » - L'histoire réelle de la société marchande : l'Antiquité - L'histoire réelle de la société marchande : l'époque moderne [cit. 7] - Critique du progrès, de l'économie et du sujet - Critique de l'économie tout court Chap. 5 – Le fétichisme et l'anthropologie : - La valeur comme projection - Le don au lieu de la valeur - À cheval volé... [cit. 8] Conclusion. De quelques faux amis : - Critique du néolibéralisme ou critique du capitalisme ? [cit. 9] - Donner vaut-il mieux que vendre ? - La dernière mascarade du marxisme traditionnel - Sortir de la société marchande.

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L'auteur

Anselm Jappe

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