Les Enfants de Venise : Le livre de Luca Di Fulvio

Les enfants de Venise ( La ragazza che toccava il cielo ) – Encore une très belle découverte pour moi, Luca di Fulvio. Auteur et dramaturge - hélas décédé en 2023 - Di Fulvio fait jaillir son talent dans ce roman original, dur et foisonnant. Jamais je n'ai été aussi tiraillée dans ma lecture ! L'heureux découpage en 92 chapitres - d'une longueur juste ce qu'il faut - m'a aidé à tenir le cap, ramant dans ma barque à travers les roseaux bordant la lagune ! D'accord, on est au 16ème siècle, c'est rude partout pour le petit peuple. Surtout si vous sortez d'un orphelinat et que vous êtes lâché dans la nature, comme le jeune et attachant Mercurio, petit escroc au grand talent. « Les enfants de Venise *«, un bouquin de catégorie jeunesse, alors? Ou un roman historique? Il y a de tout, ça vient! Une petite bande d'enfants et de jeunes ados qui survit comme elle peut, dans les conditions de misère totale. Mais il faut bien se débrouiller. Cela se corse sérieusement dès que les adultes arrivent dans ce récit, car ces jeunes sont des proies faciles ; chantage, tuerie, escroquerie, prostitution et viols, le système mafieux est déjà en place. Il y a encore le maître et l'esclave, son homme – ou femme – à tout faire, à tout prix. Y compris notre Mercurio, rusé et malin, mais l'âme en peine. Et d'un coup, je comprends ; ici il est question du cercle vicieux MANQUE– DOULEUR - SOUFFRANCE – RAGE -VIOLENCE. le manque d'amour ou de protection parentale qui engendra la douleur (déguisée en colère ou haine) qui engendra la souffrance et finira par la violence. Tout est vécu, tout est dit. Mercurio le découvre dans la douleur et répondra à sa façon ; originalité (le roi du déguisement, surtout comme prêtre, des scènes inoubliables), rage, violence aussi, et soif de liberté. Besoin d'estime et d'amour, aussi. Nous sommes d'abord dans un roman d'aventure qui commence à Rome et se termine à Venise. Des déplacements périlleux, des déguisements inattendus, des rebondissements, des gentils et des méchants, les bas-fonds, quelques palais, tout est là pour l'aventure. le décor et l'ambiance de la ville et de la lagune y sont, les odeurs aussi! Mais, on s'aperçoit très vite que les quelques « gentils » ont leur côtés sombres, très sombres, et les « méchants » leur côtés sensibles, ressortant à des moments inattendus. Les démons intérieurs sont partout ; une enfance sans parents, une épouse décédée sans avoir pu la sauver, des enfants perdus, une mère putain, jalousies, etc. etc. Pour survivre, il faut la ruse, la fidélité des plus faibles, de l'argent et un réseau. Et ne pas craindre la corruption et le meurtre. Ca c'est pour les méchants professionnels ; escrocs, usuriers, tueurs à gage. Puis, le récit d'aventure glisse vers une forme de conte initiatique et de transformation ! Arrivent les épreuves pour les jeunes Mercurio, Benedetta, Giuditta. La conscience qui se réveille, les peurs, les signes, les choix. Comment changer si on ne sait pas comment, si on ne sait pas comment aimer, si on ne sait pas avoir un projet pour retrouver une liberté ? de très belles pages abordent ces questions dans des dialogues simples mais sublimes entre Mercurio qui trouve une figure de mère ; Giuditta discutant difficilement avec son père Isacco le « médecin » juif ; Isacco à son tour avec le capitaine Lanzafame. Des personnages vivants que l'auteur sonde au plus profond de leur âme. Magnifique. 49, un très beau chapitre; Mercurio assiste à la construction d'une galère et sait désormais : il veut avoir un bateau pour s'en aller, s'affranchir de la laideur, trouver sa liberté et amener la fille qu'il aime, Giuditta la juive. Ce roman aborde du début à la fin la question juive, totalement d'actualité au 16ème siècle. Chassées, ces populations errent un peu partout en Europe pour trouver un lieu de vie convenable. Venise crée donc en 1516 son ghetto. Une certaine tolérance règne pourtant de la part des autorités. Mais le peuple vénitien est harassé par les prêtres qui incitent à la haine contre les juifs, malgré une forme de cohabitation historique entre chrétiens et juifs, voire musulmans, commerce oblige. Les juifs ont de l'humour et l'auteur ne s'en prive pas. Des dialogues pleins de piquant et d'autocritique, j'aime. Des personnages neutres donnent un bel équilibre au roman ; le capitaine Lanzafame, un type solide et lucide ; l'aide du docteur Donnola et quelques femmes, y compris une ou deux prostituées en sont un bel exemple. Malgré le côté violent et sombre, ce roman nous propose tellement de moments originaux et créatifs, d'intrigues, de chaleur humaine, d'amitié, que le lecteur attentif ne pourra jamais abandonner sa lecture ! La création de la première boutique de mode « prêt à porter » , une trouvaille originale avec de très lourdes conséquences pour Giuditta. Elle sera une des causes pour que Giuditta soit accusée de sorcellerie, ce qui va amener le récit à sa dernière partie -et la plus magistrale - le procès. Jeu politique vénitien ancestral, retours de situations, le clergé qui perd la face, le peuple qui s'exprime... on y voit une fresque grandeur nature ! Sublime. Dans ces pages, l'auteur atteint le sommet de son art. "Conte" oblige, nos enfants de Venise ne vivront pas tous heureux mais malgré tout, l'espoir, l'amour et une sorte de promesse de liberté seront au rendez-vous pour certains d'entre eux. Le seul bémol de cette lecture sont les scènes de violences contre les femmes ; fallait-il aller si loin dans les détails ? En revanche, j'ai aimé le décalage entre le langage parlé, presque de nos jours, et les formules de soumission utilisées à l'époque, l'effet est comique par moment. *Une petite observation : le titre original en italien est « La ragazza che toccava il cielo » (la fille qui touchait le ciel). le lien se trouve dans le chapitre 59, quand Giuditta et Mercurio et se sont enfin rencontrés en amoureux. Elle explique ce geste appris d'un vieux monsieur. … « Tu vois les étoiles ? Si tu les regardes, dans quelques instants, elles ne seront plus là, elles se seront déplacées. Tu sais pourquoi ? Parce que les étoiles sont des carrosses du ciel. Et tu sais comment on fait pour monter dedans ? Tu dois te servir de l'index gauche parce que c'est celui du coeur, et le coeur est beaucoup plus fort que l'esprit. C'est ainsi que tu choisis et peux chevaucher les étoiles, partir en voyage »… Le conte est de retour. Traduire cela par « Les Enfants de Venise » me paraît dès lors un peu facile.

Très chouette historiquement , c'est bien de voir Venise autrement que par le côté renaissance italienne. Par contre l'histoire m'a déçue le schéma de l'histoire est le même que dans le gang des rêves on y retrouve les même caractéristiques des personnages

Merci à feu Luca Di Fulvio pour cette superbe aventure romanesque ! Après le Gang des rêves qui était aussi une belle histoire, Les enfants de Venise m’ont embarqués dans une période et dans des lieux inhabituels pour moi. J’ai trouvé un style facile à lire et une histoire convaincante : un vrai moment de plaisir que cette lecture. Je vais avoir du mal à quitter ces personnages attachants !

Dans l’Italie du XVIe siècle, Mercurio, un jeune garçon des rues, fuit Rome après un drame et trouve refuge à Venise, en compagnie de ses fidèles amis Benedetta et Zolfo. Ensemble, ils découvrent une ville envoûtante mais impitoyable, où il faut ruser, se cacher, s’adapter pour survivre. Mercurio, débrouillard et audacieux, se forge peu à peu une nouvelle vie dans ce décor de masques et de secrets. C’est à Venise qu’il fait la rencontre de Giuditta, une jeune juive vive et indépendante, avec qui il noue un lien particulier. À travers leurs parcours croisés, le roman met en lumière la dure réalité des enfants livrés à eux-mêmes, condamnés à survivre par leurs propres moyens. Il dépeint également avec justesse les conditions de vie des juifs dans une société où la marginalisation et la ségrégation sont monnaie courante. Le ghetto de Venise, la pauvreté, la violence sociale, mais aussi la solidarité, l’amour naissant et l’espoir irriguent cette fresque historique. Malgré sa taille, le livre se lit bien tant l’intrigue est prenante et les personnages attachants. Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est la façon dont Luca Di Fulvio montre que les gentils ne sont pas toujours irréprochables et que les méchants peuvent aussi révéler une part d’humanité. Les Enfants de Venise est un roman d’aventure intense, touchant et profondément humain, qui nous plonge avec force dans les marges de l’Histoire.