L'Olympe des infortunes : Le livre de Yasmina Khadra

C'est le deuxième livre de Yasmina Khadra que je lis, le premier était Moritury. Je suis surpris par le contraste entre ces deux ouvrages. Le premier était un polar sombre confronté à une société gangrenée par la corruption. L'Olympe des Infortunes, est bien plus léger à la lecture. C'est une sorte d'hommage à Diogène le clochard céleste. Ici, les misérables ont droits au chapitre. On découvre leur territoire, un terrain vague, une décharge, avec ses histoires et ses enjeux. Il y a la musique et la poésie. Puis, c'est le temps de la réflexion... Sont-ils vraiment libres à la marge du système ? C'est peu sûr ! Les interdits et les règles obscures subsistent même dans le dénuement matériel. Ce n'est pas l'appel de l'être prophétique qui poussera Junior à trahir l'inertie de la zone. Pourtant, les paroles de ce dernier semblent juste. L'émancipation doit se faire par un changement de paradigme en interne de l'individu. L'être de la marge doit accepter le monde et le monde l'acceptera à nouveau. Ces paroles sont trop belles et ne font aucun effet chez les trimards. Eux sont binaires unis malgré eux par le rejet de cet autre monde où, semble t'il, il y aurait tout alors qu'eux, ils n'auraient rien, ou presque rien. Le retour d'expérience de Junior est glaçant. Comment ne pas penser à cette dichotomie entre l'Europe de l'ouest et l'Afrique du Nord. Comment ne pas penser au sort réservé en Europe aux voyageurs clandestins venus tenter leur chance sur un ailleurs souvent présenté comme un paradis aux merveilles.

D’emblée j’ai été séduit par cette communauté de marginaux, où la gente féminine est absente, vivant hors la ville, refusant le mode de vie capitaliste, et survivant sur ses ruines. L’horrible bien-pensance n’est pas loin, et l’utopie est évidente, mais les personnages sont atypiques et attachants. Parmi eux... Il y a là, le protecteur d’un simplet, qui tente de répondre aux attentes de son protégé, poussé jusqu'à l’exaspération, et finalement au silence, culpabilisé de ne pouvoir satisfaire son protégé. Il y a là, le protégé qui pose des questions beaucoup moins simplettes qu’elles n’y paraissent, malheureux de mettre dans l’embarras son protecteur, qu’il admire jusqu’à la limite de l’amour physique. Il y a là, une espèce d’Anté-Christ, sorti d’on ne sait où, qui prêche la bonne/mauvaise parole, qui séduit le protégé et détruit le protecteur, culpabilisant l’un et l’autre. L’ambiguïté des sentiments m’a rappelé le thème du magnifique film de Pasolini, "Théorème", que les cinéphiles soixantehuitards n’ont sans doute pas oublié. Bien sûr, il y a aussi ce style d’écriture parlée qui agace au début, mais on finit par s’y faire, grâce peut-être à de belles envolées lyriques apaisantes. Je note que "L’Olympe des Infortunes" est sorti en 2010, et que les nombreuses expressions maladroites, qui desservaient les livres précédents, ont pratiquement disparu ! Il y aura donc un prochain Yasmina Khadra : "À quoi rêvent les loups".

Mon premier livre de cet auteur et je ne suis pas certaine d'avoir envie d'en lire d'autres. Pas parce que la plume de l'auteur m'a déplu, non c'est très bien écrit mais parce que l'histoire est trop courte, et pas assez développée. J'aurais voulu en connaître davantage sur le parcours des personnages, quelle était leur vie, pourquoi ont-ils atterri dans cette décharge ? Si je devais résumer mon avis en quelques mots, ça serait : je ne sais pas ! On ne sait rien de l'homme qui vient réveiller les consciences de ces marginaux, on ne sait pas ce que deviennent les personnages, voilà ce que je ressens au terme de cette lecture : une frustration de n'avoir aucune réponse aux questions que cette lecture a éveillé en moi.

Ce roman nous plonge dans la vie de marginaux qui, malgré leurs galères et leur rejet de la société, trouvent une certaine forme de liberté... Les personnages sont attachants, drôles, parfois agaçants, mais toujours sincères et vrais. Ach le Borgne, Junior le Simplet, le Pacha… Chacun d’eux a ses blessures, ses rêves et ses contradictions. Ils vivent entre une décharge publique et la mer, en dehors de la société dite "civilisée". On sent que le récit n'est n’est pas juste une critique de la société, c’est aussi une réflexion sur ce qu’on cherche vraiment dans la vie : la liberté, la dignité, ou juste un peu de bonheur. Dans un monde où l'on vit souvent avec pour seule fin : gagner la course à la richesse... C’est un livre qui parle de gens que beaucoup préfère ne pas voir, faire comme s'ils n'existaient pas et qui nous donnent ici une grande leçon d’humanité. Une lecture qui reste en tête longtemps après avoir tourné la dernière page.