Les Vertueux : Le livre de Yasmina Khadra, Slimane Yefsah

L'existence de Yacine aurait pu se résumer au douar algérien où il est né à la fin du XIXe siècle, à son emploi, proche du servage, de berger dans un grand domaine aux mains d'un caïd, où il aurait épousé une fille à peine pubère afin de fonder une famille de crève-la-faim en tout point conforme à la sienne. Le (mauvais) sort en a décidé autrement. Enrôlé dans un régiment de tirailleurs, il traverse miraculeusement la guerre de 14-18 ; certains de ses frères d'armes y perdent la vie, d'autres rentrent comme lui au pays et joueront souvent un rôle important, anges ou démons, dans sa destinée aventureuse. Animé par une foi inébranlable lui interdisant de se lancer dans des entreprises équivoques, Yacine nourrit en même temps une droiture et une confiance dans le genre humain qui confine à la crédulité et qui le conduira au bord du gouffre. Il faut dire que la baraka est d'ordinaire absente de son quotidien : c'est plutôt la poisse qui le poursuit, même quand il fait des choix qui semblent frappés au coin du bon sens. L'auteur restitue avec un grand luxe de détails la condition des "turcos" (ainsi qu'étaient désignés les tirailleurs algériens) pendant la Grande Guerre, puis celle d'un "indigène" dans l'Algérie sous domination française. Tirant profit des errances de son personnage à travers le pays, il brosse une galerie de tableaux bigarrés des villes, des plaines agricoles, des montagnes, du désert et de ses oasis, où les hommes, selon leur position dans la société, survivent plus ou moins dignement ou règnent en maîtres parfois dotés d'une certaine empathie.

J’aime le style d’écriture de cet écrivain, fluide, poétique, chaque mot est bien pensé et bien placé. On suit le malheureux Yacine qui commence par être embrigadé dans la Grande Guerre au nom d’un autre. On y découvre rapidement sa fidélité, sa pudeur, sa foi et son indéfectible gentillesse. A son retour en Algérie, il ne retrouve pas sa vie tant espérée. Le grand caïd a chassé sa famille et n’a pas tenu sa promesse. Il va errer et s’en sortir France à ses amis de la Grande Guerre qu’il retrouvera toujours sur son chemin et chez les Turcos la fidélité est sacrée.

Le jeune berger Yacine, convoqué par le caïd de son douar, doit abandonner sa famille aimante et sa liberté pour la guerre : il prendra l'identité du fils réformé, en échange sa famille recevra une ferme. Tirailleur à Verdun, c'est pendant 4 ans l'enfer de l'exil et des tranchées. Si de nombreux compagnons meurent au combat, des liens très forts unissent ceux qui s'en sortent. Il aura besoin d'eux de retour au pays ! En effet, le caïd l' trompé et cherche à le tuer comme il a chassé sa famille. Yacine n'a de cesse de chercher ses parents. Sa naïveté et son honnêteté sont encore à l'origine d'une succession de malheurs mais heureusement tout finit bien pour ces "vertueux". Autant la partie du roman à Verdun m'a émue, autant la suite m'a semblé romanesque et longue.

Les caïds algériens étaient prêts à tout pour ne pas envoyer leurs fils se faire tuer dans les tranchées françaises. Ils menaçaient et/ou promettaient la fortune à des garçons qui voulaient aider leurs familles à s'en sortir. L'auteur nous montre que les caïds étaient sans scrupule envers des bergers naifs et pieux, comme Yacine. C'est une bonne découverte pour moi, j'avais déjà entendu parler de Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, sans jamais tenter, mais je ne suis pas déçue. Je recommande ce roman historique, le sujet change, et on veut savoir comment l'histoire de Yacine va se terminer.