Nulle part où revenir : Le livre de Henry Wise

Will est revenu dans le comté d’Euphoria, dix ans après l’avoir quitté. Il a quelque chose à terminer, ou à commencer, ou à réparer, il ne sait pas très bien quoi ni comment. Toutes les nuits, il erre avec son pick-up et va au bord de la rivière, là où tout s’est passé, il y a treize ans. Will est l’adjoint du shérif Mills : deux blancs dans un comté à majorité noire. Les vieilles habitudes ont la peau dure, et claire, dans ce coin perdu de Virginie que le progrès semble avoir oublié. Des plantations à l’abandon, comme les maisons qui les symbolisent, des parcs de mobile homes décrépits, et des bouges infâmes pour jouer, picoler, et se battre. Will héberge Sam, en toute illégalité : bizarre pour un shérif adjoint, mais il a une dette envers Sam. Will arrive par hasard, après une de ses nuits d’errance, près d’une maison incendiée : c’est celle de Tom, une ex-vedette locale de football. L’homme est mort et sans l’intervention de Will qui sauve le corps des flammes, on aurait pu le croire mort dans l’incendie. Will voit Zeke fuir le lieu du crime. Zeke est le père de Sam. C’est un homme droit et respecté que personne ne peut soupçonner d’avoir commis un tel crime. Pourtant il est sur les lieux, et le shérif Mills ordonne son arrestation. Will est bien obligé d’obéir, malgré ses convictions. Zeke est le coupable idéal, il y a des preuves matérielles à son encontre, alors pourquoi aller chercher plus loin ? Et puis ça semble bien arranger le shérif. Mais Will a une dette envers cette famille, et il ne peut se résoudre à accepter ces conclusions hâtives. Il va donc fouiller et remuer le passé, aidé par Bennico Watts, une détective privée engagée par Floressa, la mère de Sam et épouse de Zeke. Impossible, dans cet imbroglio de lever une pierre sans dénicher un mocassin à tête cuivrée et risquer la morsure mortelle. C’est pourtant sur ce champ de mines qu’est le passé de ce pauvre comté perdu que Will va devoir s’aventurer, au risque de tout faire exploser, lui en priorité. Henry Wise nous offre un roman d’une force exceptionnelle à l’atmosphère étouffante. Secrets, non-dits, chantage, incompréhension, culpabilité composent un cocktail détonnant. Attention : amateurs de fins fermées et de situation claires, vous risquez d’être déçus. L’auteur met ses lecteurs à contribution : c’est à nous de combler les vides, de remplir certaines cases, et d’imaginer la fin. C’est un peu à nous, lecteurs, de décider si Will trouvera la paix, et saura enfin où il peut revenir. Du grand art.

Quand le poids de l'Histoire continue à peser sur le présent... Lorsque je lis de la littérature américaine abordant des questions de société, je suis toujours effarée de voir que les choses évoluent si lentement sur le sujet... Avec ce premier roman noir rural que j'ai trouvé très abouti, Henry Wise nous entraîne en Virginie du Sud, région encore marquée par les vestiges de la ségrégation. Des années après son départ, Will Seems revient dans la ville où il a grandi pour devenir adjoint du shérif. Mais pourquoi ce retour? Pourquoi choisir de revenir dans un lieu où le temps semble s’être figé au temps de la culture des plants de tabac? Par bien des aspects ce texte m'a fait penser aux romans de l'auteur américain S.A. Crosby que j'ai pu découvrir il y a quelques années avec "Les routes oubliées". J'ai néanmoins trouvé certains passages un peu trop lents à mon goût, mais cela ne m'a pas empêché de ressentir une certaine tension à la lecture de ce roman. On est facilement pris dans l'histoire et on prend plaisir à s'attacher aux personnages principaux. Je suis curieuse de voir où la plume de ce jeune auteur va nous mener #x1f609 Je tiens à remercier les éditions Sonatine et Netgalley France pour m'avoir permis de découvrir un premier roman très prometteur et j'ajoute une mention spéciale pour le choix de cette couverture qui est à l'image de ce texte.

Nulle part où aller par Henry Wise Sonatine éditions Bienvenue en Virginie où la vie n’est pas aussi douce qu’on le souhaiterait. L’état reste hanté par les affres du racisme, celui qui s’est enraciné dans l’esclavage, instaurant un clivage entre les blancs et les noirs, les riches et les pauvres, les nantis et les oubliés. Entre marais et maisons délabrées, cœurs de villes obsédants, là tous se connaissent, tous ont un passé commun voire un secret partagé, et même si vous partez un jour, rien ne s’efface jamais. Will Seems revient dans sa ville natale où il est nommé adjoint au shérif, et va en faire les frais. Son ami Tom Janders est assassiné, d’emblée c’est un vieil homme noir, un peu porté sur la bouteille qui est inculpé. La communauté noire s’insurge et refuse de payer pour ce crime douteux, ils engagent alors une détective privée. Bennico Watts et Will Seems vont devoir apprendre à travailler ensemble, mettre leurs efforts en commun et s’imposer afin de mettre en évidence une réalité tout autre. L’enquête va les mener aux portes du Snakefood, en endroit de marécages nauséeux où se rassemblent marginaux de tout acabit, laissés pour compte, drogués. Mais bientôt, la fange éclabousse quelques magistrats et influents de la ville, on se rend compte alors, que tous ont de sombres secrets et que le mobile du crime est plus pernicieux que l’on croit. Un roman intéressant dans sa narration et dans le choix de son personnage principal, Will Seems, plus complexe qu’il n’y parait, hanté par son passé meurtris. Un livre sombre dans son message ou pointe un déterminisme, voire un atavisme. Un premier roman au réalisme brutal sur l’Amérique d’aujourd’hui, et un auteur à suivre.

Nulle part où revenir, c'est techniquement un polar, avec une enquête, un shérif adjoint qui lutte pour établir la vérité, et un meurtre à résoudre. Mais c'est en réalité bien plus que ça : c'est un roman sur le Sud des USA, sur ces zones rurales drapées de mousse espagnole, oubliées de tous où cohabitent des populations pauvre et exclues du rêve américain, qui descendent à la fois des anciens esclaves et des rednecks "white trash", sur ces endroits où personne ne vote, où la drogue et l'alcool font des ravages, où l'on survit dans des masures délabrées ou dans des caravanes hors du temps. Non, la ville natale de Will Seems, le héros, n'a rien d'une charmante bourgade. Il y a une odeur d'oubli et de désespoir qui sourd des pages. L'enquête, bien rapidement, apparaît clairement au lecteur, qui identifie sans mal la personne qui a tué la victime. Ce n'est pas ça qu'Henry Wise, l'auteur, veut nous montrer. Car Will Seems rentre chez lui avec ses propres démons : il vit avec le fantôme d'une agression, celle qui a brisé son meilleur ami quand il avait seize ans. Il mène donc une deuxième enquête, aux marges de la loi. Le roman parle alors de deuil, de traumatisme et de culpabilité. Chaque personne semble hanté, dans ce roman.Ils sont tous "morally grey", entre le shérif ripoux, la détective privée prête à tout, y compris à contourner la loi, et Will lui-même, qui danse en permanence sur la ligne ténue entre bien et mal... Ils n'en sont que plus humains. Les coupables sont aussi victimes... Un premier roman puissant et impressionnant, résolument sombre, sur une Amérique qui ne fait rêver personne.