Rever : Le livre de Franck Thilliez

Rêver est un thriller qui m’a captivé du début à la fin. J’ai adoré le suspense constant qui brouille sans cesse la frontière entre rêve et réalité : on ne sait jamais vraiment ce qui est vrai ou ce qui ne l’est pas, et cette incertitude rend la lecture addictive. Franck Thilliez maîtrise parfaitement l’art de tenir son lecteur en haleine, avec des rebondissements intelligents et une atmosphère oppressante. J’ai aussi beaucoup apprécié l’aspect plus scientifique du roman, qui permet d’en apprendre davantage sur une maladie du sommeil méconnue et qui ajoute une vraie profondeur au récit. C’est un livre à la fois prenant, inquiétant et enrichissant.

Je découvre la plume de Franck Thilliez par ce très bon thriller à la forme et au fond très travaillés. Abigaël Durnan est psychologue et apporte son expertise dans les affaires criminelles. Elle est atteinte de narcolepsie sévère depuis son enfance. Ces derniers temps, les crises sont de plus en plus violentes et il est difficile pour elle de faire la part entre le rêve et la réalité. De plus le médicament qu'elle prend pour la soulager semble affecter sa mémoire. L'enquête sur laquelle elle travaille depuis des mois avec les gendarmes la met également dans tous ses états. Plusieurs enfants ont été enlevés. Le suspect est surnommé Freddy en référence à Freddy Krueger car il met en scène de façon macabre ses méfaits. En effet, quelques jours après l'enlèvement d'un enfant, il cloue un épouvantail à un arbre habillé des vêtements de la victime. Ces derniers sont lacérés de coups de griffes et tachés du sang du kidnappé. Aucun indice ne permet d'identifier cet homme ni le lieu où il pourrait retenir les victimes. Tout au long de l'histoire nous somme plongés dans le cerveau d'Abigaël et ses émotions troubles. Pourtant l'auteur a choisi d'écrire du point de vue omniscient et non à la 1ère personne. L'histoire est construite comme un puzzle. Sa construction atypique avec des allers-retours dans le temps et à rebours crée une intrigue complexe qui part sur plusieurs "sous-enquêtes". Bien évidemment on comprend tout de suite que tout est lié. Dès le départ j'ai émis une hypothèse qui s'est avérée juste mais il me manquait tout de même des éléments et je n'ai découvert l'identité de Freddy que quelques pages avant la révélation (grâce à des petits indices). Afin de ne pas se perdre dans les méandres du cerveau d'Abigaël et les différentes temporalités, on retrouve au début de certains chapitres une frise chronologique indiquant à chaque fois les deux dates marquantes du roman à savoir le 6 décembre 2014 "L'accident" et le 25 juin 2015 "Le lavoir en flammes". Ce dernier événement correspond au prologue du roman. Une petite goutte noire apposée sur la frise nous permet de savoir à quel moment se déroule l'action. C'est très astucieux et cela m'a permis de ne pas trop être perdue. Tout s'emboîte très bien et j'ai vraiment pris plaisir à lire ces 630 pages. J'ai également appris beaucoup de chose sur la narcolepsie et notamment sur les crises de cataplexie. C'était vraiment intéressant et original de suivre le personnage d'Abigaël et les répercussions que cette maladie a sur elle notamment en période de stress intense. Pour savoir si on bien suivi son histoire, l'auteur nous offre la possibilité de télécharger, le chapitre 57, manquant dans le roman. Pour cela il faut donner un code mentionné à un moment de l'intrigue. Un chapitre bonus qui permet de prolonger la lecture et de donner un éclaircissement sur un fait en particulier. Là encore c'est une très bonne idée et cela témoigne du gros travail d'écriture qu'a mené l'auteur. Un thriller prenant et très bien écrit qui m'a donné envie de découvrir d'autres romans de Franck Thilliez.

Encore une fois, le « patron » français du thriller a réussi à me mettre la tête à l’envers entre passé et présent et entre réalité et rêve. Son héroïne, en plus d’être éminemment brillante dans son domaine, se révèle être porteuse d’une faiblesse pathologique depuis l’enfance qui la rend attachante et va induire pour elle et pour nous de nombreux doutes. Ajoutez à cela la construction atypique du roman qui demande quelques chapitres pour apprivoiser les différentes réalités temporelles afin de se faire une idée générale de l’histoire et vous aurez compris que pour le lecteur l’implication et l’attention doivent être totales pour éviter les nœuds au cerveau. L’auteur base cette fois son roman dans le Nord (où il habite) et j’ai bien apprécié la promenade dans les différents lieux visités que j’ai connu pour certains.

Avec Rêver, Thilliez prend un virage plus intime, plus mental, plus flou. Il ne cherche pas à t’en mettre plein la vue. Il veut t’installer dans un doute permanent, un flou existentiel. T’as beau chercher la vérité, il te manque toujours un fragment, une image, une minute. Comme un film monté à l’envers, sans les scènes-clés. Sandrine, l’héroïne, est brisée dès la première page. Pas abîmée. Brisée. Fragile, brillante, seule. Et son monde se fracture au rythme de ses crises de narcolepsie. Elle s’endort, elle se réveille… et parfois, les cadavres ont changé de position. Et toi, t’es là, à tourner les pages en te demandant si tu peux encore lui faire confiance. Le roman est un mille-feuille narratif. Chaque chapitre est une date, un flashback, un flashforward — un montage éclaté façon Westworld saison 1. T’es obligé de recoller les morceaux, de t’impliquer. Ce n’est pas un roman de plage. C’est un casse-tête émotionnel. Et c’est ce qui fait sa force. L’ambiance est étrange, flottante, presque éthérée. Comme un rêve sous perfusion. Imagine un mix entre The OA, Black Swan et un vieux morceau de Radiohead passé en boucle sur un dictaphone. Parfois sublime. Parfois flippant. Toujours instable. Thilliez prend le risque de ne pas livrer toutes les réponses. De te laisser dans le flou, même après la dernière page. Certains y verront un défaut. Moi, j’y vois une cohérence totale avec le propos : et si la vérité était un rêve mal mémorisé ? Pourquoi pas 5 étoiles ? Parce qu’il faut s’accrocher. Parce que la narration éclatée peut frustrer. Parce que ce n’est pas un uppercut — c’est un poison lent. Mais c’est maîtrisé. Profond. Sincère. 4 étoiles pleines, parce que Rêver, ce n’est pas un choc. C’est un glissement. Une désorientation lente. Et que très peu de thrillers osent encore t’emmener dans une zone grise, sans GPS, sans balises, juste avec une lampe frontale et ta mémoire défaillante.