La Terre des égorgés : Le livre de Armand Cléry

J'avais lu avec bonheur le précédent roman de cet auteur, Camille 1815. Voici donc le nouveau roman historique d'Armand Cléry qui, une nouvelle fois, montre son talent d'écrivain et d'historien. Car on est plongé dans l'atmosphère d'Orléans en 1814 d'une part par les références historiques, d'autre part par une écriture riche et au vocabulaire conforme à celui de cette époque. Le lecteur est entraîné dans une suite d'aventures qui se succèdent sans temps mort, avec son lot de fausses pistes et un suspense permanent. Si, assez vite, j'avais deviné la nature de l'animal féroce, auteur de tous ces carnages, je n'avais pas imaginé quel en était l'instigateur ! L’atmosphère est celle des feuilletons du 19e siècle, et, dans ce roman, on pourrait trouver des points communs avec la plume d'un Eugène Sue, d'un Balzac ou d'un Ponson du Terrail. Et la morale est sauve puisqu'à la fin les coupables sont punis par le destin ! Un roman captivant qui se déroule dans les villages proches d'Orléans à l'aube du retour de Napoléon en 1815.

1814, Orléans. La Loire à proximité, la Restauration en marche. La situation politique est tendue et Napoléon au cœur des discussions. Tout est possible. C’est cette période choisie par l’auteur pour le cadre de son intrigue. En plus de l’instabilité des institutions, le froid est omniprésent. Un cadre parfait pour accentuer les peurs et exacerber les rumeurs. Elles vont s’amplifier lorsque des cadavres vont être découverts en bord de fleuve. Loups ? Sorcellerie ? Il est facile d’accuser tout le monde. Tant que les yeux ne s’orientent pas vers la politique. Le jeune Adelphe va se retrouver au milieu de cette intrigue. La caution scientifique locale, Griseldan, ne souhaite pas prendre part à l’enquête. Adelphe se voit malgré lui attribuer le rôle d’enquêteur. Il se confie à Griseldan et Carolange, sa nièce, pour laquelle il éprouve de doux sentiments. Pour Adelphe, les attaques ne correspondent pas à ce que l’on connaît des loups. Une incohérence qu’il ne manque pas de mettre en évidence. Il en parle mais personne ne semble le suivre. Et pourtant les attaques se poursuivent. Partagé entre son envie de bien faire, ses sentiments pour Carolange, le silence de Griseldan et l’enquête à charge du préfet Talleyrand, le jeune Adelphe va devoir poursuivre sa tâche avec méthode pour débusquer cette bête que tous traquent. Mais sa jeunesse le fait oublier la situation politique instable. Ces attaques cachent un complot bien plus dangereux qu’un loup insaisissable. Le jeune naturaliste va se retrouver au milieu d’évènements qu’il ne comprend pas et qu’il ne maîtrisera pas. Son univers va en être bouleversé. Peur, rumeur, politique, complot, sorcellerie et roublardise. Tout est abordé dans ce roman historique réussi. Une atmosphère sombre accentuée par un temps désastreux renforce la tension de l’histoire. Des rebondissements, des enquêteurs désarmés et des complotistes proches de leur but. Une tension qui monte progressivement et les masques qui tombent brutalement. Un intrigue très réussie.

Un roman que j'ai apprécié pour son ambiance: je ne parlerais pas de suspense (on comprend l'intrigue assez vite), mais de quelque chose de sombre et oppressant entre les traditions rurales et les croyances ancestrales autour des attaques de loups. Le roman a cet intérêt de nous rappeler qu'il n'y a pas que la bête du Gévaudan dans l'histoire de France, mais d'autres bêtes aussi moins connues comme celle d'Orléans: toutes les régions, toutes les époques (jusqu'à la nôtre mais sous d'autres formes) ont probablement eu leur bête pour incarner leurs angoisses. Par ailleurs, Adelphe, le personnage principal (je ne dirais pas héros car il en est très loin), ressemble un peu à Fabrice à Waterloo: alors que la vérité lui saute aux yeux (ainsi qu'à nous!), il ne voit rien. Aussi, si je devais émettre une réserve, ce serait qu'il ne s'agit pas pour moi d'un thriller mais d'une sorte de roman d'apprentissage où le personnage principal apprend à se déniaiser de ses certitudes et de ses illusions. Le texte n'en demeure pas moins fort.

Orléanais, 1814. Le corps d'un vieux chansonnier itinérant est découvert par deux laboureurs, un carnage. le chirurgien-major du 14ème régiment stationné non loin de là conclut à une attaque de loup. Rapidement, d'autres cadavres sont retrouvés, tous attribués à la même cause. « C'était un de ces brouillards opaques et froids, étalé au ras du sol en longues langues humides, silencieux et triste, blanc comme un linceul jeté sur la solitude des lieux, où le spectral le disputait à quelque chose de sale et rebutant qu'on n'aurait su exprimer. Les arbres nus, le chemin morne, les champs déjà pelés par le changement des saisons disparaissaient sous ce suaire. Par des temps pareils, le brouillard semblait une vaste chape insaisissable et inquiétante, une monstruosité de la nature capable d'engendrer n'importe quelle créature redoutable. » Le récit est immédiatement immersif. Armand Cléry prend le temps d'installer une atmosphère empreinte de mystère en s'appuyant sur des descriptions précises des conditions météorologiques exceptionnellement difficiles, des corps ou des lieux, qu'ils s'agissent des bords de la Loire, des bordels d'Orléans ou des recoins d'un manoir. Les phrases sont d'autant plus évocatrices que l'auteur écrit d'une plume ciselée, aux tournures soignées qui donnent l'impression de lire un roman écrit au XIXème siècle sans pour autant paraître compassées ou lourdaudes comme dans une mauvaises copie. Les personnages n'ont peut-être pas la flamboyance de ceux imaginés par Alexandre Dumas, mais on prend beaucoup de plaisir à les voir évoluer : Adelphe de Mézières, apprenti zoologiste spécialisé dans l'étude des races canines, candide peu assuré qui se retrouve malgré lui au coeur de l'enquête, persuadé qu'un loup n'est pas derrière les morts ; un vieux comte qui ne sort quasi jamais de son château de Férale, savant de renom qui passe la plupart de son temps dans sa zoothèque ; sa nièce Carolange qui gère le domaine de son oncle, à laquelle Adelphe voue une dévotion amoureuse totalement béate ; un abbé illuminé qui parcourt les paroisses pour annoncer le retour de retour de l'ire divine ; une sorcière accusée de messes noires et transformations zoomorphes ; et enfin un préfet cynique et pragmatique qui surveille tout cela de loin. Un tel casting ne pouvait qu'évoluer dans un récit énergique, et c'est le cas. Même si l'auteur dévoile un peu tôt certains enjeux, il a construit une intrigue très propulsive, plein de surprises et rebondissements, entre traque du ou des coupables, masques qui tombent et complot politique, le tout dans une ambiance politique parfaitement décrite. Nous sommes fin 1814, entre la première abdication de Napoléon, désormais exilé à Elbe, et les Cent jours, durant la Première restauration marquée par le retour de la monarchie constitutionnelle avec le roi Louis XVIIII sur le trône. Tout peut basculer d'un côté comme de l'autre, vers l'affermissement de la Restauration ou l'éclatement de nouveaux troubles qui la feraient sombrer. Et il en va de même dans le roman, sombre et désenchantée dans sa représentation d'une nation à genoux face à l'instabilité politique et de la crédulité d'une opinion publique percluse de superstitions et hantée par la fragilité d'une vie qui peut s'arrêter à tout moment, par l'attaque d'un loup ou autre. le folklore répond au trouble, nourrit le fanatisme et s'invente des coupables sur lesquels se déchaînent la colère et la violence. Un roman plein d'allant, très plaisant à lire tout en étant sombre dans le constat dressée d'une époque et de façon générale de l'âme humaine.