Le bastion des larmes : Le livre de Abdellah Taïa
À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses sœurs, pour liquider l'héritage familial. En lui, c'est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l'interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d'un colonel de l'armée du roi Hassan II. À mesure que Youssef s'enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l'ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib. " Notre passé... notre grande fiction ", médite Youssef, tandis qu'il s'apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d'une enfance terrible, d'un amour absolu, aussi, pour ses sœurs magnifiques et sa mère disparue.
Prix Décembre 2024
Prix de la langue française 2024
De (auteur) : Abdellah Taïa
Expérience de lecture
Avis des libraires
Avis Babelio
amardouboune
• Il y a 3 mois
« Nous dans le passé. » (page 128) Ces quatre mots suffisent. Nous, lui Abdellah, ses soeurs. Nous, encore lui et celles et ceux qui le lisent. Nous, toujours lui, et ceux et celles qui vécurent certains des faits rapportés. le livre s'ouvre sur une tradition marocaine, celle qui consiste à payer les dettes du défunt, de la défunte. Abdellah écrit « Je n'ai jamais entendu parler de cette tradition mais j'étais avec elles, les soeurs, de leur côté. » (page 9) ; le 15 août 2019, au Tadla, région d'origine de la mère d'Abdellah, mon épouse et moi passâmes une fin d'après-midi torride à payer les dettes de son frère décédé auprès d'épiciers, certains prirent l'argent, d'autres refusèrent ; un temps de remémoration, et ce frère n'a laissé aucun souvenir agréable, aucun moment de joie dans le coeur de mon épouse. Un passé d'odeurs, d'images, de tendresses, de violences, de pouvoirs malsains, de dominations, de pauvreté. « L'appartement était vide. Pendant des années, notre vie de famille pauvre et très nombreuse s'était jouée là, dans ces trois pièces. Ma première sensation du monde, de sa beauté magique et de sa cruauté, sans cesse affirmées, a eu lieu entre ces murs, dans ces pièces. J'ai immédiatement reconnu l'atmosphère d'autrefois. L'odeur de cette époque. Nous ensemble. Dans le dénuement et la précarité. Dans les cris et le chaos, mais ensemble. La mère. le père. Neuf enfants. Entassés les uns sur les autres. Cette odeur est encore là, dans cet appartement. Celle de corps qui passaient l'essentiel de leur temps par terre. Nous vivions au niveau du sol. Assis. Accroupis. Allongés. Endormis. Affamés. Enragés. Envoûtés. Possédés par les djinns. Malades. Sous le poids du mektoub. Puis révoltés, de plus en plus révoltés. Nos corps avaient besoin d'exulter, de transgresser toutes les frontières imposées aux pauvres comme nous par ceux qui vivent tout en haut et viennent parfois nous rendre visite en coup de vent. Pour inaugurer une mosquée par exemple. Il n'y avait pas de douche chez nous, à l'époque. Nous n'utilisions jamais de déodorant. » (page 127) Chez mon épouse au Tadla, dans les années 1980, la mère, son fils, ses cinq filles, l'eau à la fontaine dans la rue en bas des escaliers, deux pièces au sol cimenté, pas de réfrigérateur, ni de télévision, les mêmes sensations que celles évoquées par Abdellah. Un passé sans nostalgie pathétique, sans véritables regrets. Bien évidement, Salé est un personnage à temps complet du récit, mais surtout les gens à qui Abdellah vole les vies pour les transformer en fragment littéraires, « Je vole vos vies pour les transformer en fragments littéraires » (Le Monde du 23/09/2010). Je ne sais pas depuis quand Abdellah, écrit dans des carnets la vie des autres, pour injecter ces vies dans les livres qu'il publie. Je ne sais pas ce que son éditeur.rice lui demande de gommer, de rectifier, avant publication. le résultat, d'une tendresse, d'une densité rare fait d'Abdellah un très grand écrivain, un témoin rare de ce que les gens, et ils sont nombreux, qui visitent le Maroc, ne voient pas, n'imaginent pas. « Je n'ai pas de famille, moi. Je suis dans l'errance et le froid interminable en France. Pas complètement libre, même en France. Et je m'accroche encore à ces souvenirs entre nous. Je les enjolive. Je me mens. Je vis au présent un passé qui n'a peut-être jamais existé. Et je ne veux surtout pas devenir raisonnable, compréhensif, sage. » (page171) Abdellah écrivain précieux, juste, terriblement féministe, courageux, très courageux, et magnifiquement beau. Je ne sais pas combien lui a rapporté d'euros d'être récompensé par le Prix décembre 2024, mais je suis très heureux de cette reconnaissance, lui discret qui caracole littérairement loin devant d'autres auteur.rices marocain.es très médiatiques et infiniment ennuyeux.euses. « Le printemps a commencé hier. Et je comprends déjà tout. » (page 27)
gilles3822
• Il y a 3 mois
Le dolorisme met en avant la valeur morale de la douleur. La souffrance d'un être différent, voué à l'ostracisme et à la persécution, ne peut être évitée quand elle prend sa source dans un monde où l'intolérance et l'obscurantisme règnent en maître. Subir une humiliation incontournable ne peut durer éternellement, elle peut provoquer le suicide, l'insupportable explose le tabou de sa propre suppression. A moins que dans ce monde clos qu'est le désespoir essentiel, on y trouve une force morale qui dépasse le supplice, la justification d'une vie par la douleur, celui censé vous rendre plus grand que celles et ceux qui vous bafouent. Le corps social dans son ensemble jouit de ce qui vous rend plus fort, l'endurance au mal accentue votre désir d'être encore plus vous-même. Il n'y a pas d'échappatoire autre que de lever la tête, toute dignité bafouée se devant d'être assumée. L'homosexualité en pays musulman, comme ailleurs, est un exutoire, tel que l'on peut l'apercevoir dans ce livre, une catharsis de l'interdit, dont les acteurs pourront se délecter, sous le couvert d'une omerta d'autant plus lourde qu'elle s'entrelace avec des contingences familiales, honte refoulée qui explose dans la mort. Allah doit accepter le déviant quand celui-ci s'est racheté une conduite, impossible reniement, par une vie où la soif de reconnaissance l'avilira à tout jamais. L'impossible devient alors possible par le truchement de la cupidité collective, montrant ainsi le vrai visage de la foule. La religion ne s'accommode de l'inverti que par le rachat, en espèces sonnnantes et trébuchantes, là un diamant, et plus loin un appartement. Nous acceptons ta différence, tu paies. La morale de la souffrance me semble personnellement assez imbuvable, justification de la main mise des forts sur les faibles, de la masse stupide sur l'être autre, seul avec son écrasante incompatibilité. L'exotisme oriental donne à ce témoignage une note noyant le propos dans ce culte un peu vain voué au dolorisme dont je mentionnais le nom au tout début de cet avis. Pas d'opinion sur la nécessité de la lecture de ce roman.
Bilouchacha
• Il y a 4 mois
Un très beau roman. Mais dur aussi, violent, comme la vie du héros Youssef. A travers ces pages, je découvre avec effarement la vie outragée des personnes homosexuelles au Maroc. Bien sûr je savais que l'homosexualité est interdite er réprimée dans ce pays, mais on n'imagine pas "Les viols. Les blessures. Les traumatismes. La solitude. L'absence de justice" comme le raconte l'auteur avec beaucoup de retenue et de colère vibrante derrière les mots. Il imagine des dialogues avec les absents et les morts. Et parfois on ne sait plus très bien si ces échanges sont réels ou imaginaires. Une façon très originale de raconter cette histoire d'une famille, d'une ville et d'un pays qui rejette son enfant.
herve_14
• Il y a 4 mois
Le bastion des larmes, c'est un roman avec au moins trois niveaux de lectures. C'est d'abord la vie de Youssef, un cinquantenaire marocain homosexuel qui vit en France, qui évoque son enfance au Maroc. Mais c'est aussi, à travers le récit imaginé avec son ancien amant Najib, la description de la condition des homosexuels au Maroc, faite d'hypocrisie, de mensonges, et de violences. A ce sujet, la scène où Youssef intervient au hammam pour sauver un gamin des sales pattes d'un pédophile est déconcertante par le désespoir qu'elle suscite. La mère du garçon va poliment remercier Youssef, tout en sachant parfaitement que cela se reproduire, et que Youssef ne sera pas là la prochaine fois. Il faut accepter la fatalité et ne pas faire de vagues. Enfin, le troisième niveau dépeint plus largement la société marocaine, la concentration du pouvoir et des richesses, et la respectabilité de façade que cela offre. J'ai beaucoup aimé l'écriture, assez envoutante, la prose glisse et restitue parfaitement l'impression de rêve qui émane du dialogue post-mortem avec Najib. Pas forcément un coup de cœur, mais un roman très puissant
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Romans , Roman Français
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- EAN
- 9782260056515
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- Collection ou Série
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- Format
- Grand format
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- Nombre de pages
- 224
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- Dimensions
- 206 x 144 mm
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21,00 € Grand format 224 pages