Le bastion des larmes : Le livre de Abdellah Taïa
À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses sœurs, pour liquider l'héritage familial. En lui, c'est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l'interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d'un colonel de l'armée du roi Hassan II. À mesure que Youssef s'enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l'ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib. " Notre passé... notre grande fiction ", médite Youssef, tandis qu'il s'apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d'une enfance terrible, d'un amour absolu, aussi, pour ses sœurs magnifiques et sa mère disparue.
Prix Décembre 2024
Prix de la langue française 2024
De (auteur) : Abdellah Taïa
Expérience de lecture
Avis des libraires
Avis Babelio
berni_29
• Il y a 6 mois
« Au bout de la nuit, il n'y a pas la nuit. » Le Bastion des larmes, c'est l'histoire d'une enfance meurtrie dans le Maroc des années 1980. Dix ans après la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis vingt-cinq ans, revient à la demande de ses six soeurs à Salé, sa ville natale, située au bord de l'océan Atlantique tout près de Rabat, la capitale du Maroc. Elles souhaitent à présent vendre l'appartement, liquider l'héritage familial. Mais quel est le véritable héritage de Youssef ? Le passé resurgit alors, les jours heureux, le souvenir de ses six soeurs, frondeuses et libres. C'est l'occasion pour lui de retrouver aussi son ancien quartier au gré de déambulations dans les recoins de la ville. En lui, les fantômes du passé reviennent alors le hanter, où se mêlent inextricablement bonheur de vivre et souffrances, parmi lesquels surgit le souvenir aigu de son ancien amant Najib, au destin tragique. C'est la mémoire des jours d'avant, joyeux et terribles, mais ce retour au pays est pour Youssef l'occasion aussi de revenir solder les comptes d'une enfance meurtrie, abusée. Pour Youssef, c'est l'occasion aussi de régler les comptes de l'enfant abusé qu'il fut, malgré l'amour absolu porté aux femmes magnifiques de sa famille et qui le lui rendent bien. « Elles rient beaucoup, mes soeurs. Même quand c'est la tragédie entre nous, à cause de notre pauvreté éternelle, la famine perpétuelle... Ça finit toujours par des éclats de rire. de longs moments où, n'ayant plus rien à espérer, on rit. On rit de nous. Des autres. Et surtout de ceux qui croient nous commander. » Le Bastion des larmes est une histoire d'enfants sacrifiés, de vengeance, de pardon et d'impunité. C'est aussi le récit de trahisons successives. D'ailleurs Youssef le narrateur ne s'exonère pas de sa propre trahison, cela commence par la vente de l'appartement de sa mère qui représentait en quelque sorte le sanctuaire des souvenirs de son enfance et ce dont qui crée une diffraction du récit faisant revenir ces voix les unes après les autres. Trahison des soeurs en se mariant, trahison de l'amant, trahison du pays... « C'est la mère qui ouvre les portes, les chemins, les coeurs, les âmes. » Le Bastion des larmes dit un monde perdu qui reprend forme dans ce retour au pays que vit le narrateur, c'est une sorte d'oscillation entre nostalgie et colère. le texte est autant un dialogue qu'une prière, c'est autant le récit d'un retour aux sources qu'une incantation. C'est aussi un livre sur l'exil. L'écriture a quelque chose de fragile en elle, dans ce lyrisme débridé, qui en même temps colle à merveille avec l'esprit du livre. Le récit repose sur un dispositif choral, le narrateur convoque des voix, des récits sont imbriqués les uns aux autres à la manière de poupées gigognes, suspendant le lecteur entre l'enfance et l'âge adulte, entre réalisme et onirisme. Dans une écriture à la tessiture fragile, ce sont de magnifiques pages qui se déploient dans des registres très variés et en font la richesse du texte, du plus léger au plus fort, jusqu'au plus éprouvant. C'est un style qui invite les oxymores, il y a une douceur pure entremêlée à une dureté crue, c'est un désordre foisonnant, une langue éparse et incantatoire, la douceur dans l'écriture sert une violence quasi insoutenable, c'est beau et c'est à mettre eu crédit du talent et de la puissance de l'auteur. Dans l'essence du roman, la beauté fiévreuse et poétique du style sert de contrepoint à la tragédie des expériences qui sont décrites, créant ainsi une oeuvre profondément émouvante et complexe. Ce qui porte le roman est son style justement, c'est ce qui déroute aussi au premier abord, c'est ce qui séduit plus tard, ce dialogue entre le passé et le présent, entre Youssef et Najib par la médiation du roman. J'ai senti un témoignage intime qui m'a vrillé le coeur. Jusqu'où est parvenu Youssef dans le dédale de ses souvenirs ? Jusqu'où je viens pour rejoindre ces mots ? « Les vivants portent les morts. » La poésie est là, présente, sa dimension lyrique, sa crudité aussi, la violence des mots, des gestes pour dire la brutalité. Tout est en contrepoint ici comme le ressac des vagues qui viennent se fracasser contre le Bastion des larmes. Car le Bastion des larmes, ce n'est pas une métaphore, ou du moins ce n'est pas qu'une métaphore, c'est aussi le nom d'un lieu. Abdellah Taïa inscrit sa colère et sa révolte jusque dans le titre du roman, en référence à l'histoire de sa ville, Salé, et aux vestiges encore visibles de la muraille construite après l'attaque de Salé par les Castillans et le massacre d'une grande partie de la population en 1260. C'est à l'ombre de ces remparts que Youssef fit autrefois une promesse à son amant Najib... le bastion redevient une citadelle, un refuge, la magie revient comme avant, dans le ressac du souvenir de ces rituels magiques autour des remparts... « Moi, au Bastion des larmes, j'ai été sauvé. J'y ai trouvé plusieurs fois la tendresse du ciel, l'amour du vent et la solidité de la mer. Les vagues qui consolent. La fin temporaire de la solitude atroce. Mon âme ressuscitée qui se met d'un coup à chanter joyeusement. » C'est un récit d'amour et de transgression. Abdellah Taïa est un des premiers écrivains à avoir raconté l'homosexualité au Maroc. Il se fait ici le porte-parole des minorités LGBT bafouées dans son pays. Ce récit poétique se drape brusquement d'un geste politique, disant la colère, disant l'horreur de l'hypocrisie et de la corruption qui sévissent au Maroc, celles autant de l'armée du roi que des imams, disant aussi l'horreur du quotidien dans l'envers du décor. Abdellah Taïa, dans une scène sidérante qui soulève le coeur, nous dit comment cela se passe encore aujourd'hui, nous invitant au hammam, décrivant les gestes odieux d'un vieil homme penché sur un enfant esseulé. Jusqu'où la main de ce vieil homme serait parvenue si Youssef ce jour-là n'avait pas arraché l'enfant, proie fragile des griffes d'un prédateur innommable ? Jusqu'où ? Il se souvient des gestes du passé quand il était petit garçon, quand personne ne venait le protéger... La beauté du jour revient comme pour apaiser les blessures, le rire des soeurs du narrateur, leur indomptable feu, la diffusion d'un film égyptien un jour d'été chaud, l'évocation touchante et solaire d'Omar Sharif qui apparaît sur l'écran de télévision, le désir qui entre e se faufile alors dans la pièce tandis que les six soeurs et Youssef regardent le film. « Omar Sharif ne sortira plus de cette maison. On le kidnappe en faisant semblant d'être à son service. Omar a apporté de l'amour à cette maison, de la fraîcheur, de la pluie d'été. Une douceur exquise. Et une cause plus que noble. Combattre le colonialisme, sortir de l'esclavage, par tous les moyens se battre pour la liberté, toutes les libertés, entrer dans une nouvelle ère, une nouvelle histoire. » Dans ce chant incantatoire, Abdellah Taïa construit son propre bastion, sa propre enceinte de mots comme pour mieux se protéger. Sa prose poétique nous rappelle que nous avons besoin de la citadelle des mots pour nous consoler et nous protéger des malheurs du monde. « Je me suis éloigné de ce bruit, de ces vagues et de la meurtrière. Mon dos était de nouveau contre la muraille. Ses pierres étaient glaciales, humides, accueillantes. Elles m'enveloppaient et me protégeaient des vagues de l'Océan. Devant moi, comme sur un écran de cinéma, ce film : le vieux monde, le passé, Salé et moi, encore vivant, un petit enfant assis par terre qui vient de s'arrêter de pleurer. Il se lève. Il est en train d'essuyer les larmes sur ses joues. Les pieds nus, il marche. »
jldg
• Il y a 7 mois
Comment vivre dans une dictature marocaine, conservatrice, hypocrite et homophobe. Pour Youssef, ça a été l’exil en France… La mort de la mère pourrait remettre en question l’équilibre familiale. Mais les six sœurs sont « devenues les gardiennes. La mémoire de notre mère (..) de notre père. De leurs sacrifices. De leurs combats. Et de leurs folies. Ce n’est pas vous, les garçons, mais nous, les sœurs qui faisons tout pour que ce qui a été construit ne s’effondre pas d’un coup. » Normalement, « la vie est faite aussi de responsabilités les uns envers les autres », mais quand on est gay, dans la famille, on « était leur bonne (..), tes frères et tes sœurs ne bougent pas pour toi le pédé (le zemel). » Personne ne vous protège, « mes sœurs savaient les horreurs et les viols qu’on me faisait subir dès que je mettais les pieds hors de la maison. Elles ont honte. » Les parties sur l’homophobie sont les plus dures de ce roman sans concession. « Les viols. Les blessures. Les traumatismes. La solitude. L’errance. L’absence de justice (..) les crachats, les insultes ». Et quand ta famille t’a « vendu aux hommes. Ils ont gagné de l’argent en me prostituant (..) avec zobs comme des couteaux qu’on introduisait dans mon derrière (..) voir le sang couler de mes fesses. » Et je ne parle pas de « la maitrise parfaite de l’art marocain de l’hypocrisie » qui laisse un vieux sadique violer un gamin dans un hammam à la vue de tous… L’attaque du pouvoir et de la société marocaine est également sans concession. « Ils prennent tout pour eux et pour leurs amis. Nous sommes pauvres à cause d’eux. Ils nous surveillent. Ils nous menacent (..) même quand ils n’ont rien, ils continuent de baiser les mains du pouvoir et de ses gangs (..) ils continuent de se prosterner (..) ils sont aveugles (..) » Le trafic de drogue est couvert par « ceux d’en haut » qui exigent 30% sur tout… Et bien sûr, il n’oublie pas la religion, car « Allah ne pardonne pas ce péché » (l’homosexualité). Lorsqu’il demande à un imam, « qui es-tu pour nous imposer ta vision de l’islam ? prier encore et encore (..) tu crois que cela fait de toi un bon musulman ? Le rôle des femmes y est également abordé, car « leur maison est comme une prison (..) l’avenir triste des femmes. » Pourtant, « c’est toujours elles qui, courageuses, vont au bout des choses et renouvellent le gout de la vie, les couleurs de la vie. Jamais nous les frères, les hommes. Pour finir sur une note d’espoir après la lecture de cet excellent roman sans concession, « nous ne faisons que passer dans cette vie. Il vaut mieux laisser derrière soi une trace de tendresse et de fraternité. »
luocine
• Il y a 7 mois
J’ai oublié de noter le blog ou les blogs où j’ai déjà vu passer ce roman. Ce livre est écrit dans un style très prenant auquel j’ai adhéré pourtant souvent je suis gênée par l’accumulation de phrases très courtes, et cet auteur en use et même en abuse. L’ histoire de Youssef est si poignante que je me suis laissée à lire à voix haute son texte qui résonne parfois comme une tragédie classique. Cela raconte le vie d’un Marocain, qui est professeur à Paris, il a fui son pays sa ville de Sale , car il est homosexuel et en a terriblement souffert. Il revient dans sa ville natale car il doit vendre l’appartement dont il a hérité de sa mère. Toute sa vie lui revient au gré de ses déambulations et de ses souvenirs. D’abord son premier amour, Najib, il avait 16 ans et Najib 24 quand ils se sont rencontrés et aimés. Et Najib lui a permis d’éviter toutes les souffrances auxquelles lui-même a été victime. Najib est devenu un grand trafiquant de drogue qui n’a rien oublié des gens qui l’ont méprisé dans son enfance, il est maintenant un puissant craint et respecté car immensément riche. Sale c’est aussi la ville ou Youssef a grandi avec ses six sœurs. C’est l’aspect le plus tonique de ses souvenirs, bien sûr la famille a eu faim et était réduite à une misère à peine imaginable, mais c’était aussi un lieu de vie qui a donné des forces au jeune Youssef. Ses six sœurs avaient une énergie incroyable qui s’est dissoute dans leurs mariages respectifs. Ce roman est une charge incroyable contre la société marocaine. Quelle hypocrisie face à l’homosexualité ! la scène ou un vieux viole un jeune enfant de huit ans au hammam est très dure et le récit des tortures que le jeune Najib a supporté dans son enfance est insoutenable. Les mêmes hommes qui le violaient jusqu’à réduire son anus en sang, étaient les premiers à dire que les rapports homosexuels méritaient la mort ! Najib deviendra l’amant d’un haut gradé militaire et là non seulement, il découvrira que les rapports homosexuels existent dans toutes les tranches de la société, mais aussi que les plus hauts responsables de l’état sont aussi à la tête du plus gros trafic de drogue du Maroc. Youssef et Najib sont deux aspects contradictoires de la réaction à la même sorte d’enfance : Najib a construit sa vie sur la vengeance, Youssef est toujours à la recherche de l’amour des siens. On peut reprocher à ce roman de ne faire la critique de la société marocaine qu’à travers l’homosexualité, j’ai été gênée par le fait que l’auteur ne se penche pas plus sur le trafic de drogue qui est aussi pourvoyeur d’horreurs dont l’auteur ne parle absolument pas. Mais il est vrai que la sexualité raconte beaucoup de choses sur une société, surtout en ce qui concerne l’hypocrisie des puissants.
Nechan
• Il y a 7 mois
Youssef est l'avant dernier d’une fratrie de 9 enfants. Il a vécu 25 ans à Salé, une petite ville du Maroc. Désormais, il vit à Paris ; il est enseignant, mais rêve de devenir écrivain. Il doit retourner à Salé pour liquider un héritage familial : il vient d’hériter d’un appartement de sa mère. Dès qu’il arrive au Maroc, le passé lui saute au visage avec son lot de joies et d’horreurs. Il retrouve ses sœurs et la douce ambiance familiale de sa jeunesse mêlée à la souffrance subie et infligée par certains hommes à cause de son comportement efféminé. Sa différence fait qu’il est catalogué comme tous les marginaux de la société marocaine. C’est grâce à cette différence qu’il rencontre l’amour de sa vie : Nadjib. Comment vivre sa vie dans l’oppression, la violence, la douleur, la honte, le poids de l’hypocrisie et du qu’en dira-t-on ? Quelle émotion à la lecture de cette magnifique roman (autofiction?). Des passages crus quelquefois, certains à peine soutenables. L’auteur dévoile avec beaucoup de franchise « l’art marocain de l’hypocrisie ». C’est aussi l’histoire d‘une famille et surtout des sœurs protectrices de Youssef. Ses sœurs qui étaient au courant de l’homosexualité de leur frère mais ont fait semblant de ne pas la voir et ne voient toujours rien. C’est pour cela que Youssef ressent une ambivalence dans ses sentiments vis à vis de celles qui l’ont élevé entre amour et haine. Il lui est difficile de leur pardonner.
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Romans , Roman Français
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- EAN
- 9782260056515
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- Collection ou Série
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- Format
- Grand format
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- Nombre de pages
- 224
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- Dimensions
- 206 x 144 mm
Nous sommes ravis de vous accueillir dans notre univers où les mots s'animent et où les histoires prennent vie. Que vous soyez à la recherche d'un roman poignant, d'une intrigue palpitante ou d'un voyage littéraire inoubliable, vous trouverez ici une vaste sélection de livres qui combleront toutes vos envies de lecture.
21,00 € Grand format 224 pages