Tout ce que dit Manon est vrai : Le livre de Manon Fargetton

Difficile de lire ces mots quand on a une fille. Difficile, également, de reconnaître ces phrases types de l'emprise. Car c'est bien ce qu’évoque ce roman à plusieurs voix. Toutes sauf celle de Manon : ses parents, ses amis, son petit copain et celle de cet homme qui crie son amour niais et son respect du corps de cette fille de 17 ans. Aussi naïfs et maladroits que percutants justement. Sans moralité aucune et d'une justesse absolu, ce livre permet de comprendre les mécanismes de l'emprise, la façon dont la victime va toujours excuser l'autre, cette sangsue, ce vampire. Une autre thématique est abordée, tout aussi dévastatrice : l'attouchement, le viol entre et sur mineure. Enfin, on comprend que le processus créatif émerge de failles que l'on pensait innommables. C'est particulièrement visible dans ce roman. Merci à l'autrice d'avoir su partager ses failles...

A travers son roman, « Tout ce que dit Manon est vrai », Manon Fargetton donne la parole à l’ensemble de ses personnages pour donner toutes les vérités. Le lecteur peut se faire ainsi sa propre opinion, même si une question demeure : jusqu’à quel point le personnage de Manon est-il autobiographique ? Après avoir lu quelques interviews de l’autrice, je ne suis pas plus avancée malheureusement. Toujours est-il que ce livre m’a fait penser à celui du « Consentement » de Vanessa Springora, sorti presque à la même époque. Ensemble, les écrivaines donnent leur voix pour dénoncer le système et libérer la parole des femmes. Un livre très bien écrit au sujet délicat mais totalement maîtrisé.

Ce qui est remarquable dans ce roman choral, ce sont les transitions, ou plutôt les absences de transitions pour passer d'un personnage à l'autre, d'un point de vue à l'autre, tout en conservant le fil narratif de la vie de Manon, adolescente de 16 ans. Et cette construction ne nuit en rien à la lecture et à la compréhension, on se retrouve en une ligne avec l'éditeur et sa femme, ou avec Manon, ou sa mère, ou le père et sa nouvelle compagne, les frères de Manon, etc. On vit aussi le quotidien de cette adolescente, qui va au lycée, a vécu le divorce de ses parents, est passionnée de bande dessinée et est en train d'en créer une. Les personnages sont extrêmement bien campés, avec justesse, nuance et sensibilité. On voit parfaitement comment les parents passent de l'inquiétude au déni ou se rassurent comme ils peuvent, comment la maman prend le rôle de la surveillante, de l'espionne, et aggrave le conflit avec sa fille. Manon a commencé par considérer l'éditeur comme une relation artistique et professionnelle, tout en étant flattée qu'il s'intéresse à son travail, et indirectement à elle . Malheureusement, elle est tombée sur un homme aux relations sentimentales toxiques, qui la manipule et étend sur elle une emprise, aidée par sa femme, gravement malade, qui semble tout aussi asservie à cet homme. C'est comme une spirale, dans laquelle Manon s'enfonce, sans s'en rendre compte, puis par opposition à sa mère... Parallèlement, lui reviennent des faits qui se sont déroulés dans son enfance, des faits traumatisants, qui viennent brouiller encore plus une situation déjà bien compliquée. De nombreux personnages gravitent autour de Manon, ses frères, les amis du lycée, les psychologues, les policiers, les amis de la famille, le club de surf, et ce roman se lit avec à la fois une envie de continuer la lecture sans s'arrêter et une espèce de malaise quant à la relation que l'on voit s'installer entre la jeune fille et l'éditeur. Ils échangent beaucoup par mails, et ceux de l'éditeur sont souvent d'une violence inouïe, passant de la supplication, à la déclaration d'amour et à l'ironie ou la culpabilisation. Un très bon roman, bien écrit et à la construction originale et surprenante.

Une lecture qui m’a tenue par moments grâce à la tension, mais je suis restée un peu sur ma faim. La fin m’a déçue, et j’aurais aimé que le côté malsain/malaisant soit davantage exploité. Dommage, car le potentiel était bien là.