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La Minute Lecture : A l'Ombre de Winnicott de Ludovic Manchette et Christian Niemiec
Publié le 25/09/2025 , par Laurence Caracalla

C’est sans aucun doute le plus britannique des romans français de ces dernières années ! Il est signé par Ludovic Manchette et Christian Niemiec, duo désormais célèbre et auteurs de Alabama 1963 et America(s).
Ils nous avaient habitués à situer leurs écrits au cœur des États-Unis et nous voici dans le Sussex, en 1934, au sein d’un manoir on ne peut plus anglais.
Comme il est beau ce château de Winnicott ! Un peu trop grand, un peu vieillissant aussi. Ses nouveaux occupants sont pourtant jeunes, un couple aimant, bien décidés à en faire leur foyer pour la vie. Mais l'ambiance est morose : George, leur fils de dix ans, aveugle de naissance, se sent bien seul et se morfond. Son père, Archi, est un archéologue, préférant les ossements millénaires à l’évolution du monde, même si le nazisme frappe aux portes de l’Europe. Sa femme, Lucille, est bien plus préoccupée par ces nouvelles alarmantes mais se concentre sur la nouvelle décoration des nombreuses pièces à moderniser.
Sous le regard de leurs ancêtres, ou plutôt de leurs portraits, vivent aussi des domestiques dévoués, quoiqu’un peu perturbés par l'arrivée de la nouvelle préceptrice, Vivianne, qui a, entre autres défauts, celui d'être française. Mais elle est aussi libre, directe, mal fagotée, à mille lieues de la réserve guindée des autres résidants. Seulement voilà, elle est aussi une merveilleuse pédagogue et, sous son influence, le petit George va, enfin, s’ouvrir au monde. Pourtant la peur ne les quitte plus : des phénomènes étranges, voire paranormaux, semblent en effet habiter les couloirs du château.
Amateurs d’histoires de fantômes, vous serez comblés ! Et tous les autres, ceux qui raffolent des romans d’ambiance, trouveront aussi de quoi se régaler. Car si les auteurs n’ont pas leur pareil pour décrire les journées de ces grands bourgeois et de leurs employés de maison, c’est surtout la relation de Vivianne et de son jeune élève qui bouleverse. Leurs dialogues, drôles et touchants, leur soudaine amitié, le franc-parler de l’une et le désir de son élève d’en savoir toujours plus, donnent au roman un charme fou.
Même si les portes s’ouvrent toutes seules, si les lits se déplacent et si les tableaux bougent subitement, ce manoir nous attire… irrésistiblement. Ludovic Manchette et Christian Niemiec ont eux aussi un pouvoir, celui de nous amuser – humour british oblige - et de nous captiver : difficile en effet de stopper sa lecture tant ces personnages, premiers et seconds rôles, deviennent, au fil des pages, aussi attachants que déconcertants. Quant au flegme légendaire de nos voisins d’outre-Manche, il sera bientôt mis à mal…
Comment ne pas penser à Downton Abbey, à la vie des cuisines et des salons d’apparat, au mari d’Agatha Christie, lui aussi archéologue, et dont les œuvres seront quelques fois citées dans cet ouvrage, comment ne pas penser à Rebecca, le fameux roman de Daphné du Maurier ? À l’ombre de Winnicott est inspiré bien sûr de ces célèbres classiques mais les romanciers apportent un petit plus : une touche d’ironie, et celle-là est très française !