Charlie Roquin est un moqueur. Il aime, dans ses romans, révéler le ridicule des uns, les travers des autres. Dans Les Maîtres de Bayreuth, les inconditionnels de Wagner ne sont pas épargnés… pour notre plus grand plaisir.
On attend sa venue comme le Messie. Il est le plus grand des critiques, chacune de ses paroles donne le la. Moshe Griebnisch arrive au festival de Bayreuth, accueilli comme il se doit par sa directrice et amie, la pétillante Petula Stark. Pendant quatre jours, les admirateurs du grand musicien allemand auront davantage les yeux rivés sur Moshe que sur le Ring, nom donné à la Tétralogie de Wagner, présentée chaque année. Que va-t-il en penser ? Ce jeune chef, cette cantatrice, seront-ils à la hauteur de ses espérances ? Car avant de se prononcer, les spectateurs attendent son verdict. Imaginez que l’un d’eux porte aux nues un Vaisseau fantôme que le journaliste préfère fustiger ? L’humiliation serait totale. Non, on ne contredit pas Moshe, on ne l’interrompt pas non plus lorsqu’après une représentation, il se rend dans une taverne où se retrouvent les amateurs. Pendant des heures, il décortique avec une éloquence hors du commun l’opéra du soir. Pourtant, lors d’un de ses plaidoyers en faveur de l’Or du Rhin, un inconnu à la crinière de feu va démonter un à un ses arguments. Il n’est autre qu’Henry, son neveu.
Ne vous méprenez pas : si vous ne connaissez rien à l’œuvre de Wagner, si vous n’avez jamais mis les pieds au festival de Bayreuth, vous prendrez un grand plaisir à lire cette histoire, non seulement instructive mais très drôle. Les participants sont tous des fidèles, une sorte de secte, des amoureux fous du musicien. Mais le romancier s’amuse surtout des rituels, de cette espèce d’entre-soi frôlant le ridicule. En quelques phrases, il brocarde l’imagination débordante (bien trop débordante !) de ces nouveaux scénographes à la recherche de nouveautés, de modernité : « Mime déguisé en nain de jardin, Erda remplacée par une enceinte Google Home » et un Siegfried a « l’essaim de piercings, les tatouages faciaux, les cheveux ras et peroxydés… ». On imagine la scène !
Mais, outre l’ambiance, le livre est aussi une histoire de famille avec son lot de trahison, de violence, d’abandon. Moshe, d’abord franchement prétentieux et antipathique, va sous nos yeux se transformer. Le grand homme se souvient de sa jeunesse, de son amour impossible et, soudain, il s’humanise. Mieux, il se met à douter. Le duel oratoire entre Moshe et son neveu n’a en fait plus grand-chose à voir avec la musique. Tant de chagrin chez l’un comme chez l’autre, tant de comptes à régler. Tant de secrets aussi qu’on préfère cacher pour mieux les oublier. Soudain, ce roman si ironique, si souvent grinçant, devient plus grave, plus mélancolique. Puis, le suspense supplante la tartuferie, le drame n’est plus fictif mais bel et bien réel.
La grande réussite de Charlie Roquin est d’avoir su si bien mêler érudition et comédie. Son écriture est virtuose, les joutes verbales de ses héros sont chaque fois impressionnantes. On referme ces pages en ayant la sensation d’en avoir appris beaucoup sur Wagner et plus encore sur les fausses apparences.
Le concept : un podcast dédié à la littérature qui, à chaque épisode, met en lumière un ouvrage avec son auteur en l’abordant et en le racontant par son titre. L’interview d’une vingtaine de minute nous emmène au coeur du roman et de son écriture par la porte d’entrée qu’est le titre.