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Par First Editions, publié le 09/12/2019

"Les Boucs émissaires de l'Histoire" : rencontre avec Vincent Mottez

Deux ans après son ouvrage, Sociétés Secrètes, leur véritable rôle dans l’Histoire, Vincent Mottez se penche cette fois sur les boucs émissaires de l’Histoire. Une galerie de portraits en clair-obscur pour déconstruire les idées reçues à propos de celles et ceux qui ont porté le chapeau.

Les boucs émissaires dans l’Histoire et la construction de leur légende noire : rencontre avec Vincent Mottez, auteur, réalisateur et journaliste spécialisé dans le domaine de l’Histoire.

 

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

On a coutume de dire que l’Histoire est écrite par les vainqueurs. J’ai voulu me placer du côté des vaincus, du moins, de ceux qui furent aussitôt désignés comme des personnages négatifs, malfaisants, qui ont parfois payé ce rejet de leur vie, et surtout après leur mort. Ils subissent encore une postérité que leurs ennemis ont façonnée et qui a fini par se fossiliser avec la sédimentation du temps, laissant une image grossière, sans nuance dans l’imaginaire collectif. Ils sont devenus des archétypes, des anti-modèles, des caricatures qui peuplent notre imaginaire du mal. À partir de quelques poncifs, chaque époque plaque ses propres fantasmes. Par exemple, pour critiquer une gabegie indécente, on ressort souvent le mot de Marie-Antoinette – qu’elle n’a pourtant jamais prononcé – : « ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche. » Des siècles après leurs morts, ces personnages restent donc des boucs émissaires, selon la définition de René Girard. Leur exclusion du camp du « bien » permet au groupe de resserrer ses liens et d’apaiser les tensions, en se défaussant de toute responsabilité collective, en se rassurant sur ses propres croyances : plus le coupable est diabolisé, plus le pouvoir est légitimé. Il faut donc que les méchants soit très méchants et les gentils très gentils ! J’ai voulu dépasser cette vision manichéenne et souligner les nuances, car bien souvent de faux méchants payent pour de faux gentils…

 

Comment avez-vous travaillé ?

Je me suis simplement appuyé sur les travaux des historiens les plus sérieux à propos de chaque époque et de chaque personnage, en proposant des portraits synthétiques et analytiques, qui considèrent le contexte, les enjeux et les forces en présence. Cela suffit souvent à montrer que les choses ne sont jamais simples et tranchées en histoire. Je n’ai pas particulièrement cherché à « réhabiliter » ces personnages, car il serait tout aussi suspect de passer de la légende noire à la légende dorée, du réquisitoire au panégyrique. La réalité de ces personnages est toujours complexe. Ils sont mus non seulement par l’esprit de leurs époques respectives, des événements inattendus, mais aussi par des caractères particuliers. Il est très difficile de cerner complètement la vérité d’un homme ou d’une femme, qui plus est quand ils nous sont distants de plusieurs siècles, voire millénaires, et quand les sources sont minces et contradictoires. Il y a toujours une part d’ombre et de mystère. Et enfin, je me suis penché particulièrement sur leurs postérités et la construction d’une légende noire. Elle cache presque toujours intérêt politique, avec une portée idéologique.

 

Pourquoi la légende noire s’impose malgré le travail des historiens ?

Tout le problème est là ! Les mises au point successives en plusieurs tomes des historiens ne font hélas pas le poids face à la plume enlevée des romanciers… Avec la force du cinéma, c’est pire. On le voit par exemple à propos de Néron, dans le péplum Quo Vadis de 1951, ou plus récemment avec les différentes séries sur les Borgia. Elles prennent énormément de liberté avec l’histoire, si on se réfère par exemple à l’excellent livre sur les Borgia de l’historien Jean-Yves Boriaud. Mais cela ne date pas d’hier. Victor Hugo, qui est le principal responsable de la légende noire de Lucrèce Borgia s’intéressait aux figures « monstrueuses ». Il admettait faire fi de la vérité historique au profit de la vérité dramatique. On ne peut pas blâmer les artistes pour autant. Que l’on songe à ce fameux mot de Dumas qui confessait prostituer l’histoire pour lui « faire beaux enfants ». Des chefs-d’œuvre valent bien quelques entorses à l’histoire… Le problème, c’est d’en rester là.

 

Comment avez-vous choisi vos douze personnages ?

J’ai essayé de faire un panorama représentatif, en choisissant différentes époques et différents pays, de l’Antiquité romaine à l’Amérique contemporaine, en passant par la Révolution française ou la Renaissance italienne. J’ai cherché aussi différents profils de boucs émissaires : l’oppresseur, le gaspilleur, le pervers, l’incompétent, etc. Tous ou presque ont été condamnés à mort, assassinés, acculés au suicide, humiliés de leur vivant ou d’outre-tombe. Il n’y a que le capitaine Dreyfus qui dénote un peu dans cette galerie, car il a été réhabilité relativement vite et il est aujourd’hui unanimement considéré comme une victime, que ce soit par les historiens ou par le grand public, comme en témoigne le film récent de Polanski, J’accuse. Mais j’ai tenu à le placer dans cette galerie, car c’est une figure emblématique du bouc émissaire, un cas d’école ! Même si toutes les questions autour de l’Affaire ne sont pas vraiment réglées. Au-delà de la lutte sur sa culpabilité ou son innocence, se jouait surtout un combat politique entre deux franges de la société française. Et là encore, il n’y a pas seulement des gentils et des méchants. Les nuances sont nombreuses. Charles Péguy avait bien raison d’écrire dans Notre Jeunesse (1910) : « Plus cette affaire est finie, plus il est évident qu’elle ne finira jamais. ».

 

Quel est le portrait que vous avez préféré écrire ?

Sans hésitation, celui de Lally-Tollendal. D’abord parce que c’est le moins connu de tous. Ensuite parce que je nourris un grand intérêt pour l’histoire de l’Inde. Les Français ont oublié l’épopée coloniale aux Indes, au XVIIIe siècle, les succès de Dupleix et l’infortune de Lally-Tollendal. Son destin est incroyable. Moins de dix ans séparent le jour de son élévation à la dignité de Grand-croix de l'Ordre de Saint-Louis et celui de sa décapitation en place de Grève ! Ce militaire irlandais est à la fois le héros de la bataille de Fontenoy et le fléau de Pondichéry. Il porte en effet une grande responsabilité dans la débâcle française aux Indes pendant la guerre de Sept Ans, à cause de son obstination à faire de mauvais choix, son caractère têtu et bravache. Mais cela ne devrait pas faire oublier les manquements bien plus graves du cabinet de Versailles et le bilan en demi teinte de la politique de Louis XV. Malgré son inconduite, Lally-Tollendal n’a été que l’exécutant d’une politique malheureuse qui a commencé avec la disgrâce de Dupleix. Lally, au moins, a mouillé la chemise, en partageant la vie misérable de ses troupes, et lui, seul, a payé de sa tête. C’est une histoire fascinante qui nous rappelle qu’il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne.

 

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    Rencontre avec Vincent Mottez

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