La chair est triste hélas : Le livre de Ovidie
" J'ai repensé à ces innombrables rapports auxquels je m'étais forcée par politesse, pour ne pas froisser les ego fragiles. À toutes les fois où mon plaisir était optionnel, où je n'avais pas joui. À tous ces coïts où j'avais eu mal avant, pendant, après. Aux préparatifs douloureux à coups d'épilateur, aux pénétrations à rallonge, aux positions inconfortables, aux cystites du lendemain. À tous ces sacrifices pour rester cotée à l'argus sur le grand marché de la baisabilité. À toute cette mascarade destinée à attirer le chaland ou à maintenir le désir après des années de vie commune. Cette servitude volontaire à laquelle se soumettent les femmes hétérosexuelles, pour si peu de plaisir en retour, sans doute par peur d'être abandonnées, une fois fripées comme ces vieilles filles qu'on regarde avec pitié. Un jour, j'ai arrêté le sexe avec les hommes. "
Autrice et documentariste spécialiste de l'intime et du rapport au corps, Ovidie retrace ici la trajectoire qui l'a conduite à quatre années de grève du sexe.
Dirigée par Vanessa Springora, la collection " Fauteuse de trouble " articule intimité et émancipation, érotisme et féminisme, corps et révolte, sexuel et textuel.
De (auteur) : Ovidie
Expérience de lecture
Avis des libraires
Avis Babelio
RChris
• Il y a 3 semaines
Attention ! comme pour certains films, j'ai posé un carré blanc sur cette chronique pour vous mettre en garde contre les propos de ce livre qui pourront heurter certaines oreilles. En effet, “Ce texte n’est ni un essai ni un manifeste. Il n’est en rien une leçon de féminisme ni un projet de société. Tout au plus est-il un exutoire, un texte cathartique en écriture automatique, un discours de colère et de désespoir, où l’affect amorce la réflexion. Je l’ai pensé comme une série d’uppercuts dans le vide, une gesticulation vaine, les babines retroussées d’un animal blessé qu’on n’ose aider à se relever.” Eloïse Delsart a choisi son nom d'artiste, Ovidie, pour signer ce pamphlet qui présente des positions extrêmes qui vont jusqu'à la détestation des hommes et de leur sexualité. Dès l'incipit, le ton est donné : “Un jour, je n'ai plus pu.”, et un peu plus loin : ”Un jour j'ai arrêté le sexe avec les hommes.“ Ouille, ouille, ouille, les hommes vont prendre cher avec ce livre qui va “dépoter”. La force et la faiblesse de ce témoignage est de faire une généralisation à partir d’une situation personnelle. Elle se dit mal baisée :”Je ne suis pas mal baisée parce que je suis féministe, c'est absolument l'inverse : je suis féministe parce que je suis mal baisée.” Mince ! Ses hommes seraient des mal(es)-baiseurs ! Je croyais que l’amour se faisait à deux partenaires actifs ! Plus loin, elle dit qu’avec les hommes “il n’y avait décidément pas de relation sexuelle, juste des corps essayant de tirer profit l’un de l’autre.” Voilà qui est l’antinomie de ma conception de l’amour physique, même si le procès Gisèle Pelicot m’a fait savoir qu'il existait au moins 51 hommes susceptibles de prendre une femme sans interactions. “Je ne hais pas les hommes, que ce soit dit.” se justifie-t-elle en ajoutant plus loin : “Je ne les hais pas en tant qu’individu, je les hais au lit, nuance.” Parfois la métaphore est outrée : “Baiser relève d’une logique impérialiste, nous sommes des citadelles, des lampadaires sur lesquels on lève la patte, les hommes nous pénètrent comme des clébards marquent leur territoire.” J’avais lu certaines de ces idées dans “Les révolutions de l’orgasme”, les propos de Magali Croset-Calisto étaient alors argumentés mais surtout présentés avec un contexte. La sexologue, psychologue et addictologue montrait que les hommes ne sont que les “pauvres”produits de cette société, de ses représentations sociales qui ont conformé historiquement la sexualité au modèle du mâle dominant. Cette situation invitait les hommes à une “révolution” sexuelle (voir chronique), d’autant qu’un sondage vient de révéler que 58 % des femmes disent accorder de l’importance au sexe en 2023 contre 83% en 2006. Ici, le ton est plus direct et plus incisif…puisque l'autrice s'est engagée dans une grève du sexe durant quatre ans et plus car affinités… Si je souscris à certaines assertions : “Tout l'enjeu de notre époque est de reconstruire une hétérosexualité qui ne soit plus hétéronormée, qui ne nous enferme plus dans des rôles, qui ne soit plus fondée sur les rapports de domination.“ Dans la version punchy, ça pique ! : “Ça leur serait insupportable de constater qu'en quelques secondes, sans qu'on ait besoin de se déshabiller, un vibromasseur peut nous procurer ce qu'ils échouent à provoquer en une demie-heure d'acharnement.” “...les hommes n’ont certainement pas envie de changer, parce que cela remettrait en question l’ensemble de leurs prérogatives, exigeant une relecture totale de leur sexualité, de leurs fantasmes, de leur identité.” Voilà de quoi interroger ma part d'homme “déconstruit”. Mais Ovidie va plus loin dans ses questions : “j’en suis à me demander si la nature profonde des hommes n’est pas d’être des pervers narcissiques, à des degrés divers.” Pour elle : “Aujourd’hui, je ne connais plus une seule femme qui n’ait été a minima sexuellement violentée.” Mesdames, je vous en prie, laissez sa chance au produit ! Évidemment on peut regarder l'amour physique, comme elle le fait, froidement, cliniquement, désinvesti. La pratique de la fellation m'a fait penser à ces femmes qui réfléchissent à la fin du cycle de leur machine à laver en faisant l’amour : “Je m'étais déjà surprise à sucer en ne pensant à rien, à vivre une sorte d'excursion psychique pour m'échapper mentalement de cette situation, à accomplir ces gestes mécaniquement, à rédiger un mail ou une liste de courses dans ma tête, une bite dans la bouche. “ Dans tous les actes de la vie sexuelle, vous pouvez vous regarder dans un miroir, détaché de tout sentiment et sans la variable d'ajustement qu'est l'amour (d’ailleurs elle dit toujours “baiser” créant même un néologisme : “la baisabilité” avec son échelle graduée). La sexualité doit mobiliser le feedback car souvent sur le fil, elle risque de déraper vers les travers qu’elle évoque si on ne s’assure pas de l’entente mutuelle sur les pratiques. Avec l’amour, les relations et conséquemment le regard porté est transcendé. Avec le consentement, tout est possible car la sexualité est un apprentissage permanent, une zone d’incertitude magique. Mais je dois être un peu fleur bleue car je pense comme Boris Cyrulnik que «L’amour est le plus joli moment pathologique d’un être humain normal». A ceux qui lui diraient qu’elle est “une peine à jouir”, elle affiche qu’elle s’est livrée à une expérimentation sexologique, “une sorte de marathon de la masturbation” durant lequel : “j’ai atteint vingt-six fois l’orgasme en quatre heures avant de déclarer forfait”. Quant à ses propos sur le plaisir, ils me laissent dubitatif : “Jamais on ne m’a dit que la joie procurée par la masturbation pouvait égaler celle d’un plaisir partagé. En entamant cette grève, j’ai compris que lorsque je couchais avec des hommes, ce n’était pas eux qui me donnaient du plaisir, ou alors rarement. C’était moi qui me faisais jouir toute seule, en appuyant sur les bons boutons, pour passer le temps pendant qu’ils s’acharnaient dans leur fastidieux va-et-vient, pour que les rapports me semblent moins pénibles.”... Ça donne envie ! En page 97, elle annonce qu’elle fut travailleuse du sexe : “Mais j’ai aussi traîné mes guêtres sur des tournages de films porno en parallèle de mes études, entre 1999 et 2002.” Elle voulait tenter de “révolutionner de l’intérieur un milieu qu’en définitive personne ne pourra jamais changer, ni moi, ni aucune actrice ou réalisatrice féministe qui me succédera.” On l’a appelée “L’intello du porno” comprenant vite que c’était “un argument marketing, teinté de mépris de classe, destiné à faire bander les quinquagénaires sapiosexuels.” Tiens j’étais quinqua quand elle tournait, et je l’ai raté, faut dire que je ne suis pas sapiosexuel ! Evidemment, cette information change la donne, car on peut se demander si ce qu’elle décrit de “la baise” ne renvoie pas à la virilisation et la phallocratie de ses partenaires/acteurs valorisées dans ces films et à la passivité de la femme-objet, source du plaisir du mâle. Elle sait qu’on lui posera cette question du biais de sa sexualité et anticipe : “On ajoutera un autre obstacle à l’amour : mon expérience du travail du sexe, aussi lointaine soit-elle, qui modifie radicalement le rapport aux hommes et le désenchante. Aux putains, on n’accorde d’ailleurs aucun autre statut que celui de créatures muettes qui donnent sans rien attendre en retour, un trou sans fond.” Pessimiste elle pense que cet aveu, qui pour beaucoup n’en est pas un, va peser sur le crédit accordé à son livre : “J’imagine qu'à la parution de ce texte, on en minimisera la clairvoyance et la justesse éventuelles au motif que c’est l’oeuvre d’une folle déjà hystérique ou nymphomane pour avoir montré si facilement son cul.” Comme une surprise, à la page 123 sur 152, elle interroge : “Et l’amour dans tout ça ?” Question surprenante, voire un peu saugrenue dans ce texte corrosif… “Si ma grève du sexe a débuté il y a quatre ans, je dois admettre que ma grève de l’amour avait commencé auparavant. Oui, je crois à l’amour, mais pas nécessairement pour moi.” Elle affirme plus loin : “Si je trouve dangereux de baiser et d’aimer en même temps, c’est peut-être que faire l’amour avec une personne qu’on aime revient à se contempler dans l’autre au point de s’y noyer, à perdre son identité au point d’être ramené au degré zéro de l’autonomie. Le rapport amoureux octroie à l’être aimé une emprise totale potentiellement mortifère. Amour et mort sont intimement liés, l’amour en tant qu’instant totalisant confère un pouvoir absolu. En accordant mon amour à un autre, je lui accorde potentiellement un droit de vie ou de mort sur moi. Aimer, c’est donner à l’autre un accès à son être, l’autoriser à avoir sur sa propre personne un ascendant qui engendre soumission et désubjectivation. Ainsi la relation amoureuse est, chez moi, vouée à l’échec, au corps et à la subjectivité qui se dissolvent, au néant et à la mort.” Comment apprécier un tel ouvrage où la masculinité est toujours considérée comme toxique ? Comment le noter ? Je l’ai beaucoup citée pour rendre compte de sa pensée et le présenter à ceux et celles qui ne voudront pas le lire ou ne pas le lire. Ce texte est le premier de la collection “Fauteuse de trouble : Articuler intimité et émancipation, érotisme et féminisme. Corps et révolte, sexuel et textuel, telle est l’ambition de cette collection irrévérencieuse.” Son succès fait écho au discours désabusé sur les hommes de beaucoup de femmes. J’ai peur qu’il ne harponne que des convaincues en renforçant leurs convictions. Il invitera peut-être les hommes à la réflexion, le liront-ils pour autant ? Que ces quatre étoiles incitent quelques hésitants à accepter de prendre “un coup de poing contre les diktats du sexe.” Mais vous êtes prévenus par le carré blanc !
JohnKebab
• Il y a 1 mois
Alors que je cherchais des textes féministes après avoir terminé le sulfureux mais non moins excellent "Moi les hommes je les déteste" de Pauline Harmange, je suis tombé sur ce livre. Je me suis alors empressé, après avoir lu bien sûr la quatrième de couverture, de me le procurer. L'avant-propos donne le ton de l'essai que l'on s'apprête à lire et préviens le lecteur ou la lectrice de la distance personnelle qu'il faudra prendre quant à ce qui y est dit. Entendez par là, comme Ovidie le dit elle-même si bien, que ce texte est un exutoire et doit être considéré comme tel. Ainsi, à titre d'aparté, les critiques traitants des états d'âmes que l'auteure peut nous véhiculer sont de peu d'intérêt, car cela reviendrait à ne pas prendre en compte ce pourquoi le texte a été rédigé. Le texte en lui-même est d'une puissance certaine, les mots sont crus et s'abattent sans aucune pitié sur le patriarcat. On ressent ici, d'une part, un vécu personnel mais aussi, et surtout, une expérience universelle des femmes qui amènent à se remettre en question. Tant pour les hommes qui voient alors, dévoilés au grand jour, les défauts, comportements et dominations dont ils n'avaient jamais pris la peine de questionner, que pour les femmes qui peuvent alors faire un constat similaire, éveillant alors aux injustices qu'elles ont pû vivre à leur insu. Enfin, je dois dire que j'ai dévoré ce livre en quelques heures et sur mon échelle de lecture, cela en fait un livre intéressant qui justifie largement la note que je lui donne. J'en ai aussi tiré de bonnes leçons que j'ai pû confronter avec d'autres lecteur.ices, et je pense que par là le livre a atteint un de ses objectifs. Je recommande !
Seum_euse
• Il y a 1 mois
La chair est triste hélas m’a beaucoup marquée. L’écriture d’Ovidie est forte, lucide, et sa réflexion sur les rapports hétérosexuels est percutante. Mais vers la fin, j’ai été moins en accord : certaines positions m’ont semblé manquer de recul, notamment sur les questions intersectionnelles. Malgré ça, le livre reste puissant et utile pour penser les rapports de pouvoir liés à la sexualité.
larmesdeciel
• Il y a 2 mois
C'est le premier livre de l'actrice que je lis, et je ne suis pas déçue. À la fois drôle et poignant, ce récit permet de comprendre les dynamiques à l'œuvre dans les relations hommes-femmes et les problématiques qu'elles posent. Je recommande vivement !
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Romans , Roman Français
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- EAN
- 9782260055211
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- Collection ou Série
- Fauteuse de trouble
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- Format
- Grand format
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- Nombre de pages
- 160
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- Dimensions
- 207 x 142 mm
Nous sommes ravis de vous accueillir dans notre univers où les mots s'animent et où les histoires prennent vie. Que vous soyez à la recherche d'un roman poignant, d'une intrigue palpitante ou d'un voyage littéraire inoubliable, vous trouverez ici une vaste sélection de livres qui combleront toutes vos envies de lecture.
18,00 € Grand format 160 pages