Cramés - Les enfants du Monstre : Le livre de Philippe Pujol

Cramés n' est pas un feu de joie. A Marseille, Pujol nous prend par main et nous fait visiter les quartiers les plus craignos de la ville. On a droit à la totale, meurtre, tortures, prostitution, tournantes dans les caves sur des matelas pisseux, et j'en passe. Ça glace les sens, et en même temps, l'exceptionnelle proximité de l'auteur avec les protagonistes nous fait voir l'humain qui vit encore dans ces corps blessés. On ne peut qu'être admiratif de l'enquêteur et écrivain. On reste un peu sur sa faim, dans les derniers chapitres, ou sont expédiés les propositions de solutions, sur l'air de "on sait tous ce qu'il faut faire, mais bon". Il n'empêche cramés est un livre important pour comprendre notre monde.

Une lecture âpre, désespérante, écoeurante par moments. L'auteur a réussi à s'immiscer dans la vie de quelques jeunes des "quartiers" de Marseille. Entre pauvreté, mal-être, violence omniprésente, détresse sociale et troubles psys, l'alcool, les drogues et la prostitution prospèrent. Ce n'est pas de "l'argent facile" comme on l'imagine souvent. Ce n'est ni facile ni rémunérateur. La route mène les garçons droit vers la prison ou le cimetière et les filles vers de sordides bouges ou des foyers sous-financés. Une génération cramée, sacrifiée sur l'incurie de la société qui ne se donne pas les moyens sociaux d'aider toutes ces familles. Cela m'a fait pensé parfois à Moi, Christiane F... C'est passionnant et très documenté, le genre de livre dont on sait dès les premières lignes qu'il va être bouleversant. Seule la construction du livre m'a un peu laissé perplexe, je ne la comprends pas. C'est visiblement chronologique, mais sans réel fil conducteur. Le narrateur a choisi de s'effacer le plus possible pour laisser, pour une fois, le premier rôle à tous ces jeunes. C'est peut-être dommage : inscrire ces périodes où il était en contact avec eux dans sa propre vie aurait pu donner plus de liant et de contraste au récit.

Dans la continuité des deux premiers ouvrages, Philippe Pujol décrit la réalité des enfants au cœur du milieu du banditisme, de la misère et de la drogue à Marseille. La particularité de ce troisième opus, réside dans la dureté des propos, des situations et de la vie quotidienne de ses enfants livrés à eux mêmes. Le livre est à la fois bouleversant, cruel et désarmant devant l’impuissance qui nous empare

La fabrique du monstre, premier livre de la "trilogie" - puisqu'on découvre aujourd'hui que ç'en était une - était un livre en colère, qui balançait tout et permettait une compréhension du système marseillais dévastateur dans toute sa complexité. Un vrai travail d'enquête, la politique de la ville décortiquée, les intérêts privés dénoncés, les acteurs nommés. J'avais été frappée et conquise par cette lecture et j'en vérifie tous les jours sa triste vérité dans ma ville. Avec Cramés, Pujol nous entraîne dans une réalité très crue des quartiers et donne quelques chiffres qui cassent les idées reçues sur l'argent facile ou le nombre réel de dealers à combattre. C'est ce que je dois à ce livre, un regard différent sur la situation. L'inaction politique est flagrante mais pas expliquée, ou alors de façon trop floue, lors des nombreuses prises de parole médiatisées. Pujol donne dans le sous-entendu, les extrapolations et un air de "j'me comprends" qui me semble loin du travail minutieux d'un prix Albert Londres. Il s'agit donc plutôt de rapporter des témoignages individuels, certes poignants, par un gars des quartiers qui s'en est très bien sorti, qui y a encore quelques entrées et peut s'assoir à la table de certaines familles pour raconter leurs histoires. Des histoires qui ne sont pas roses, qui touchent, qui font mal et dont le cours ne parait pas pouvoir dévier. Sur ceux qui se bougent, sur les réussites, sur les chemins pour sortir du déterminisme, pas grand-chose, voire rien. Dommage, car ils font la majorité. Il y a plus de désespoir que d'enquête et de réponses, beaucoup de références marseillo-marseillaises, le tout servi par une écriture rapide et peu recherchée, un peu flemmarde et parlée. Ça m'a laissé une impression de "Je suis venu, j'ai vu, j'ai pas relu".