Dom Juan : Le livre de Molière

J’ai aimé cette pièce dès que j’en ai pris connaissance, sur les bancs du lycée. . . Plus encore avec l’opéra de Mozart, auquel j’ai sacrifié un jour mon budget culture pour le voir au Châtelet ! Je me trouve ainsi en bonne compagnie, auprès de Baudelaire et de l’épilogue de son « Don Juan aux enfers », dans « Les Fleurs du mal » : « Mais le calme héros, courbé sur sa rapière, Regardait le sillage et ne daignait rien voir. » Fermez le ban.

Une pièce réussie en tout point, dont la principale force réside dans ses oppositions: Un mélange de comique et de tragique dont Molière en a seul le secret. Cette combinaison, loin de nuire à la cohérence de l’œuvre, lui en donne une sève moderne et agréable. La relation entre le valet et le maître constitue sans conteste l’un des plus grands atouts de la pièce. Leurs échanges sont à la fois drôles et captivants. Don Juan se révèle espiègle, malin, immoral, beau parleur et cynique, tandis que Sganarelle, moraliste, croyant, attachant mais naïf, forme avec lui un duo savoureux. Cette divergence d’esprit et d’opinion est un véritable régal pour le lecteur. La pièce semble, à première vue, condamner l’immoralité de Don Juan et prôner des valeurs de droiture et de fidélité. Mais, en réalité, elle égratigne subtilement l’hypocrisie de la noblesse. Ainsi le message est ambivalent, nuancé, la bonne vielle morale chrétienne n’est défendue qu’en apparence, notamment par la complexité donnée au personnage principal (j’y viens tout de suite). En effet, la réussite de cette pièce est en grande partie à allouer à l’écriture du personnage principal. Molière lui donne un trait immorale mais capable de noblesse. Il parvient à nous le faire aimer autant que detester. Surtout, Don Juan apparaît comme un homme en quête de liberté, refusant toute contrainte pour faire ce que bon lui semble. Mais il semble, au final, être le plus grand des prisonniers, esclave de ses propres désirs. La fin tragique ajoute une gravité bien trouvée au propos. Ainsi, Don Juan est-il le plus courageux des hommes, celui qui défend sa liberté face aux normes sociales et qui ose défier le ciel ? Ou bien le plus déterminé des êtres (au sens du déterminisme), obéissant aveuglément à ses pulsions ?

Bon moyen de se questionner sur la morale : tout le monde n’a pas la même, les principes de l’un devrait-il s’appliquer à l’autre ? Le personnage de Dom Juan vient totalement en contrepied de la Princesse de Clèves. Un peu plat sinon. Sganarelle un peu trop mou, ce serait bien qu’il s’affirme un peu plus.

Molière réussit ici un tour de force : il nous fait à la fois apprécier et détester Dom Juan, personnage fascinant par son audace et exaspérant par son égoïsme. C’est précisément ce mélange qui rend la pièce si captivante et intemporelle. L’écriture, les dialogues, le rythme et les thèmes — toujours d’actualité — font de Dom Juan un incontournable. Molière reste pour moi un des plus grands auteurs, et ce texte ne fait pas exception : encore une réussite à son actif, et aucun regret d’y être revenue.