Thérèse Raquin : Le livre de Émile Zola

Peut-on vivre heureuse en faisant tuer son mari pour épouser son amant ? La question mérite d’être étudiée sérieusement, au risque de susciter des vocations, car elle a dû se poser plus d’une fois. Avec Zola cependant, les vocations se feront rares, car son récit ne laisse pas espérer de conclusion heureuse. Dans le drame qui va se dessiner, les protagonistes ne sont même pas des personnages exceptionnels, juste des personnages un peu trop poussés par leurs bas instincts. Mme Raquin protège aveuglément son fils Camille, d’une faible constitution ; Camille, lui, a pris l’habitude d’être dorloté et que tout lui tombe tout cuit dans la bouche, et finit par apprécier ce rôle de malade éternel ; on lui donne pour épouse Thérèse, une lointaine nièce devenue orpheline, qui doit surtout servir d’infirmière pour son mari, et dont la jeunesse supporte mal d’être toujours enfermée dans des pièces sombres et les vapeurs de tisanes réparatrices ; et puis vient Laurent, un être plutôt balourd, paresseux et égoïste, dans lequel Thérèse voit à tort un écho de sa propre soif de vie. Au début du roman, j’ai eu de la compassion pour Thérèse, qui est utilisée par tout le monde : Mme Raquin la voit comme celle qui veillera sur son fils quand elle ne sera plus là, Camille trouve une camarade de maladie (exigeant même qu’elle boive les mêmes remèdes que lui), et Laurent espère simplement vivre de ses rentes une fois Camille parti, sans que jamais personne ne cherche à savoir ce qu’elle pense vraiment. L’histoire m’a happé jusqu’au meurtre environ : la découverte des personnages, leurs interactions, leurs mesquineries même, … tout ça est assez finement analysé et tient en haleine ; après le meurtre, j’ai trouvé que le roman se complaisait dans une spirale infernale qui n’en finit plus de nous plonger dans les bas-fonds de l’âme humaine, mettant en avant le caractère poussé à l’extrême de chaque personnage. Je trouve que le roman aurait gagné à être raccourci d’une grosse cinquantaine de pages : on s’habitue à tout, même à l’horreur, et faute de pouvoir grimper encore et toujours de quelques crans dans l’abjection, on finit par s’ennuyer.

Quel plaisir de retrouver la plume de Zola ! Dans une œuvre qui diffère grandement de ce qu'il a l'habitude d'écrire. Dans le sens où nous sommes dans un classique aux saveurs de thriller. Effectivement, deux amants tuent le mari et doivent ensuite vivre avec cela. L'euphorie, la folie, la descente aux enfers et le désespoir voilà ce que vous allez explorer à travers ces pages. Zola a toujours eu ce don pour dépeindre des personnages ordinaires qui doivent survivre dans un environnement qui leur est inconnu. Ils devront faire face à cette décision tout en sauvant les apparences. La plume est directe et universelle. On peut lire ce roman au XXIe siècle sans se sentir dépaysé pour un sou. Il est relativement court donc tout s'enchaîne rapidement mais à allure suffisante. Le personnage de Thérèse est tellement moderne. Une femme émancipée qui entreprend et ose sans se soucier des conséquences mais tout en y faisant face quand celles-ci arrivent. J'y ai trouvé une touche très Shakespearienne entre le Macbeth et le Roméo et Juliette. Tout ce que j'aime !

Un roman qui démarre d'une façon flamboyante et très noire. Découvrir tout le contexte de l'histoire de Thérèse, sa vie, sa mère, son magasin, son cousin insupportable et son amant est pa-ssio-nnant. Le style de Zola fonctionne à fond et me rappelle l'introduction quasi Lovecraftienne de Peau de Chagrin. Dans les deux cas on aurait préféré que ces livres en restent là. Malheur pour Thérèse Raquin qui après son crime s'éternise en lamentations, compréhensibles certes mais qui durent la moitié du roman. On a hâte d'en finir et on est content de fermer le livre.

Zola fait partie de ces auteurs qui, sans que je sache pourquoi, m'impressionnent et me paraissent inaccessibles. J'ai toujours voulu découvrir sa grande saga des Rougon mais sans oser m'y attaquer. Alors quand j'ai trouvé ce titre de Thérèse Raquin, ce livre suffisamment court mais avec une intrigue assez développée pour me frotter au style de l'auteur, je n'ai pas hésité et j'ai bien fait ! L'histoire est sombre, l'ambiance pesante, la psychologie des personnages est tellement bien décrite, leurs pensées et leurs personnalités les font détester, mais je n'ai pas eu envie d'arrêter ma lecture tellement je voulais connaître la fin de l'histoire. Une belle découverte !