Lisez! icon: Search engine
Par le cherche midi éditeur, publié le 13/04/2022

Alizée Gau: « La fiction permet de montrer des choses sidérantes qui ont un fond de vérité »

Avec un premier roman audacieux qui explore un territoire imaginaire ravagé par la guerre, Alizée Gau démontre un talent indéniable pour le récit fictionnel, elle qui a tant parcouru la réalité. Rencontre avec cette plume prometteuse qui n’oublie jamais les douceurs de la poésie.

Vous vous lancez, toutes voiles dehors, dans ce roman qui charrie beaucoup de thématiques. En quoi l’écrit vous attirait-il, plus que d’autres formes artistiques et moyens d’expression ?

Depuis l’enfance, écrire des poèmes ou des contes a toujours été un passe-temps naturel, une façon spontanée d’explorer des sensations, des rêveries et des images. J'ai eu la chance de grandir sur un voilier qui parcourait le monde jusqu'à l'âge de dix ans. Il y avait donc beaucoup à raconter, déjà ! Avec le temps, je crois que l'écriture est venue s'enrichir d'autres formes artistiques, comme la musique et la photographie. La musique convoque un rythme et un jaillissement d’émotions dont on peut s'inspirer à l'écrit. La photo appelle à observer le monde sous toutes ses coutures, à se fasciner pour un micro-détail ou à varier les points de vue… Sans parler du théâtre ! Je trouve que le mélange des formes d’expression est une pratique très riche, probablement sans fin.

 

Pourquoi vous être tournée vers la forme fictionnelle ?

Avant d'écrire Minuit au bord du monde, j'ai mené un projet photo documentaire sur « Les porteurs de paix » dans les pays touchés par un conflit récent : les Balkans, l'Irlande du Nord, la Géorgie, le Rwanda… Je me suis rendue à chaque fois un à deux mois dans ces régions pour rencontrer et photographier des étudiants, des militants, des politiciens, des artistes, ou encore d'anciens militaires, qui contribuaient à leur façon à la reconstruction du lien social. Cette thématique me passionnait, ces recherches et rencontres ont continué de m’habiter longtemps après. Je me suis rendu compte que je voulais poursuivre ce voyage à travers la fiction, médium qui permettait d’aller plus loin dans le partage de certains ressentis. Ça me semblait plus simple, du moins, avec des personnages imaginaires. Inventer un pays fictif me permettait aussi d’incorporer toutes sortes d’inspirations dans un seul lieu et de prendre du recul avec l’Histoire d’un pays spécifique, car dans les situations d’après-guerre, le récit du passé est encore souvent source de de conflits et désaccords… Ensuite, le processus long de l'écriture romanesque a suscité plein d'autres choses inattendues.

 

L’intrigue se développe autour de deux personnages qui ne cherchent pas la même chose, développent une vision relativement différente des lieux qu’ils traversent. Comment les avez-vous façonnés ?

Effectivement, Tim Volker est un photographe de guerre allemand, usé par son métier, qui retourne en Zaramestrie (pays imaginaire où se déroule l’action, Ndlr) pour poser ses valises – pays dans lequel il a couvert un conflit quinze ans plus tôt. Ses souvenirs de la guerre sont omniprésents et se superposent à ce qu'il redécouvre de la Zaramestrie. Leila Alaman, elle, est une violoniste française, petite-fille d'un luthier originaire de ce pays. Elle découvre la Zaramestrie pour la première fois avec un regard neuf – elle cherche à y trouver autre chose que la guerre, car cet héritage-là est enfermant, elle aimerait croire que la Zaramestrie ne se résume pas à son seul conflit. Je voulais croiser ces deux regards pour retranscrire la complexité et l'ambivalence d'un pays d'après-guerre. Chaque personnage s'exprime à la première personne avec une sensibilité marquée : alterner entre l'oreille d'une musicienne et le regard d'un photographe permettait aussi d'explorer tout un prisme de sensations, de scènes, d'univers, ce qui était passionnant d'un point de vue littéraire.

 

On visite donc la Zaramestrie, pays que vous avez imaginé pour dire les troubles et les retentissements de lieux bel et bien réels. Peut-être est-ce là l’aspect plus autobiographique du récit ?

J'espère universel, plus qu'autobiographique : il y a effectivement de nombreuses références à des situations qui ont belle et bien existé. Passer par la fiction est justement intéressant, je crois, pour montrer que des choses qui semblent sidérantes à première vue ont bien un fond de vérité : des murs-frontières à l'intérieur d'une ville, des nationalismes exubérants, le courage de certains activistes… Le côté autobiographique se retrouve peut-être dans des photographies de Tim qui font écho à des souvenirs, dans certains questionnements de Leila sur l’après-guerre, la résilience et l’identité, mais j'ai brouillé les pistes autant que possible.

 

Le roman est parcouru de poésie malgré des sujets relativement durs. Comment avez-vous travaillé et trouvé votre voix littéraire ?

Je ne sais pas si j’ai trouvé ma « voix » mais j’espère qu’elle continuera à s’enrichir et d’évoluer… Pour Minuit au bord du monde, qui est un roman polyphonique, la construction des voix de Tim, de Leila, et les interventions plus ponctuelles d'autres personnages, est passée par beaucoup de recherches et réécritures, d’une part, et de lâcher prise, d’identification, de l’autre. Je cherchais à ce que chacune de ces voix soit singulière, vraiment incarnée et aussi sincère que possible. Les personnages s’expriment à la première personne, donc on ne peut pas vraiment tricher. La voix de Tim a clairement été la plus difficile à construire.  Quant à la poésie… Je crois qu’elle aide, justement, à donner du sens à la douleur et qu’elle rassemble aussi autour de ce qu’il y a de plus universel. Les thèmes de ce roman invitaient à essayer d’en faire usage. Je me suis récemment rendu compte qu’écrire de la poésie m’aidait à convoquer des émotions dans un processus d’écriture romanesque, où l’on peut vite être absorbé.e par la construction narrative. C’est en tout cas l’une des approches que j’aimerais continuer de développer.

 

Minuit au bord du monde
Nichée entre les chaînes de montagnes enneigées, la Zaramestrie est un pays abîmé par la guerre. Après des années de combat, alors que la paix a été déclarée et les armes déposées, les adversaires tentent de cohabiter à nouveau.

Deux étrangers sont attirés en plein hiver dans cette région. Tandis que Leila Alaman, violoniste française, découvre le pays avec un regard neuf et fait la connaissance de jeunes musiciens, le photographe de guerre Tim Volker retourne sur les traces du conflit qu’il a couvert quinze ans plus tôt. Le directeur charismatique et utopiste d’une école de rock, une peintre révoltée et d’autres survivants vont croiser leurs routes ; mais que peut vraiment l’art contre les fantômes du passé ? Et comment reconstruire sur des braises attisées par les crises politiques ?

Une histoire de résilience et d’émancipation, où l’humain et la poésie trouvent un chemin sous les décombres.

Entre le conte initiatique et la fresque sociopolitique, Alizée Gau nous offre un premier roman porté par une écriture libre et cadencée, résolument poétique.

le cherche midi éditeur
le cherche midi éditeur