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Par Plon, publié le 23/03/2021

Dans les coulisses de la "mondialisation Cocorico !"

Dans Les grands fauves, Christophe Labarde nous invite au cœur de la success story de personnages connus, mais dont on ignore comment ils sont devenus des « grands patrons ». Rencontre avec l’auteur qui raconte l'histoire de cette bande qui a changé le visage du capitalisme français...

Fallait-il une nouvelle fois raconter l’histoire du capitalisme ? 

Je ne me suis pas posé cette question ainsi, car l’angle du récit que j’ai choisi est vraiment nouveau. C’est celui de ce fameux "club de copains" autour de Claude Bébéar. Seuls quelques journalistes et quelques patrons en connaissaient le nom, Entreprise et Cité, mais ils n’en savaient guère plus. Moi le premier à l’époque…

C’est donc une histoire complètement nouvelle : personne, avant la publication de ce livre, n’imaginait l’incroyable "puissance de frappe" d’Entreprise et Cité !

Tous ces patrons étaient pourtant, avant tout, des concurrents…

Il est vrai qu’on a longtemps pensé que régnait entre tous ces grands chefs d’entreprise la loi impitoyable de la compétition, du chacun pour soi, du "chacun dans son couloir de nage". En réalité, il y avait aussi beaucoup de natation synchronisée… par Claude Bébéar lui-même !

Pendant plus de vingt-cinq ans, et même s’il déteste ce terme, c’était lui le vrai "parrain" du capitalisme français. Quand on le pousse un peu, il le reconnaît du bout des lèvres, mais avec ses propres mots : "Nous avons beaucoup fait chacun de notre côté, mais nous avons aussi beaucoup fait ensemble."

Vincent Bolloré le répète également : "Il n’est pas exagéré de dire que tout le capitalisme français s’est fait et défait autour de cette table pendant vingt-cinq ans."

Et Bernard Arnault ne dit pas autre chose !

Quelles sont les principales révélations de votre livre ?

Il y en a… beaucoup ! On y apprend comment, par exemple, le patron de la Société Générale, Daniel Bouton, a trahi une espèce de "pacte secret" qu’il avait scellé avec Claude Bébéar pour ne pas toucher à Paribas.

Ou comment, tout au début des grandes batailles dans le domaine du luxe, c’est Claude Bébéar qui a littéralement "offert" LVMH sur un plateau à Bernard Arnault.

On découvre aussi les dessous de la prise de contrôle de Vivendi par Bébéar. Avec quelques épisodes peu connus et quelques anecdotes incroyables, jamais racontées jusqu’ici : comment Vivendi, leader mondial de la communication, a été sauvé grâce à… un simple fax !

On y apprend que Bébéar n’a pas pu réaliser son rêve ultime : "avaler" Generali. Il s’était pourtant mis d’accord avec Antoine Bernheim, le patron de Generali, mais son propre successeur à la tête d’AXA y a renoncé…

D’une façon plus générale, on découvrira – comme je l’ai découvert moi-même – ce sentiment très ambivalent de Bébéar à propos de sa succession. Ses amis le lui répètent d’ailleurs avec lucidité : "Tu as tout réussi sauf ta succession…"

Votre livre est effectivement un hommage aux "patrons conquérants". Mais non sans quelques coups de griffes…

Je ne voulais surtout pas faire un livre "à charge", même si c’est presque devenu une mode. Je sais bien qu’il est de bon ton de faire le procès systématique du capitalisme, des patrons, de l’argent, de la réussite… Chacun y trouvera des arguments pour défendre sa propre thèse.

Avec le recul, tous mes petits camarades journalistes, au Figaro et ailleurs, dans les années 80, me reprochaient de trop souvent "pencher à gauche". J’ai pourtant toujours pensé qu’on ne rendait pas assez justice à nos grands patrons…

Bien sûr, quelques personnages de cette saga en sortent un peu égratignés (le banquier et ancien patron de presse Philippe Villin, l’ancien Premier ministre Alain Juppé…), mais je n’y suis pour rien : ils n’avaient pas besoin de moi pour se rendre antipathiques auprès des "grands fauves".

Vous ne craignez pas de tomber dans le "C’était mieux avant ?"

Non. C’était une autre époque ! Les temps ont vraiment changé, et ce serait absurde de comparer…

Aujourd’hui, imaginez une association baptisée Entreprise et Cité ! Tout le monde comprendrait Entreprise et Banlieues. Ce qui n’a rien à voir…

Une autre différence – et de taille ! –, c’est le rôle des femmes. Il n’y en avait aucune dans la bande à Bébéar, et quasiment pas dans la vie des affaires, publiques ou privées. Ce serait impensable aujourd’hui…

Il n’empêche, je le répète, que cet "ancien monde", qu’il est bon de brocarder, a construit énormément de champions mondiaux : AXA, LVMH, Sodexo, Total, Schneider Electric, Capgemini… Je ne vais pas tous les citer. Mais sur la trentaine de membres que comptait Entreprise et Cité, vous en avez bien une quinzaine qui sont numéro 1 ou parmi les grands leaders mondiaux. C’est tout simplement incroyable, et c’est probablement la seule fois de l’histoire où cela se sera produit !

Ne boudons pas notre plaisir, même s’il est révolu. C’était en tout cas le bon vieux temps de ce que j’appelle aujourd’hui (l’expression m’est venue, hélas, après avoir écrit le livre…) la "mondialisation Cocorico"!

Tout n’a donc pas changé…

Eh non… hélas ! Beaucoup de comportements demeurent, à commencer par ce besoin, typiquement français, de… détester ! Il me semble que c’est de pire en pire chaque jour. On tue les icônes une à une. À commencer par les patrons.

Et pourtant, que dirions-nous si Vivendi était américain, BNP-Paribas britannique et LVMH chinois ?

Je suis comme de Gaulle, qui faisait tellement confiance en la France et se méfiait tellement des Français…

Quelqu’un a-t-il pris la place de Claude Bébéar ? Y a-t-il un nouveau parrain de l’économie française ?

En prenant ici encore le risque de simplifier, on peut dire qu’on est passé d’un monde à un seul parrain à un monde à deux parrains : Bernard Arnault et Vincent Bolloré, lesquels sont sortis, chacun avec son style, "de la cuisse de Bébéar" !

Ce que j’annonce à la fin du livre, d’ailleurs, est en train de se réaliser : ces deux-là, qui sont devenus milliardaires, sont en train de se partager l’empire d’un troisième ex-milliardaire, Lagardère. 

Chaque jour apporte sa part de rebondissement dans cette nouvelle affaire qui passionne les médias. Mais on ne comprend pas la façon dont elle se déroule concrètement – et notamment la façon dont Bolloré et Arnault font tout pour ne pas se battre frontalement – si on n’a pas compris que ces deux-là se connaissent vraiment (très largement grâce à Entreprise et Cité, d’ailleurs…) et se respectent.

Votre livre s’achève au début du premier confinement…

C’est un hasard absolu du calendrier. Pendant ce premier confinement, alors que tout le monde réfléchissait au "monde d’après", je me suis trouvé à réfléchir et à travailler également sur le "monde d’avant" !

J’ai compris sur beaucoup de plans que Les Grands Fauves pouvaient être lus comme un préquel, comme on dirait à Hollywood, de ce qui se passe aujourd’hui.

C’est un voyage dans un passé encore tiède. 

Il nous offre des clés de décryptage indispensables pour comprendre le présent.

Découvrir la vidéo de l'auteur 

Les grands fauves
Tout commence au début des années 80.
Tous sont encore inconnus ou presque.
Leurs noms ? Claude Bébéar, Vincent Bolloré, Bernard Arnault, David de Rothschild, Serge Kampf, Michel Pébereau, Henri Lachmann, Didier Pineau-Valencienne, Jean-René Fourtou, Thierry Breton…
Leur point commun ? Une petite association, Entreprise et Cité, sans logo ni locaux, qui se réunit de façon informelle autour d’un match de rugby, d’une bonne table ou d’une virée entre amis.
Pendant près de vingt-cinq ans, ils vont chasser en meute. Dévorant autour d’eux et se dévorant parfois entre eux.
« Tontons flingueurs » pour les uns, « Chevaliers de la Table ronde » pour les autres.
Très vite, Claude Bébéar s’impose comme le grand inspirateur et le grand ordonnateur de ces chamboulements inédits de l’économie française.
Comment a-t-il façonné et développé des groupes comme AXA, BNP-Paribas ou Vivendi ?
Comment a-t-il, en parallèle, imposé l’Institut Montaigne parmi les think tanks incontournables et influencé en profondeur la société française en lançant, parmi les premiers, le débat sur l’accès à l’emploi ou l’intégration des jeunes issus de la diversité ?
Comment une vraie « bande de copains » à l’appétit insatiable, avec ses éclats de rire, ses coups de gueule et ses coups de cœur, a-t-elle ainsi secoué le capitalisme
de la vieille France jusqu’à en faire émerger des champions mondiaux ?

Leur histoire est une saga.
Elle était secrète.
Elle ne l’est plus.

 

 

 

Plon