Traduite pour la première fois en France, l’auteure américaine est célébrée outre-Atlantique pour ses romans comme pour ses ouvrages de non-fiction, mais aussi pour ses albums jeunesse qui font exister les destins d’enfants noirs. Du même sang, sa nouvelle fiction, nous propulse justement dans le quotidien d’une fillette dont la trajectoire va révéler un racisme irriguant les États-Unis des années 60 à nos jours. Tout comme les cheminements intimes qui unissent une lignée de femmes noires, dans leur maternité comme dans les absences qu’elles tentent de combler.
S’émouvoir, déjà, de la beauté complexe que déploie la couverture du roman. Dans les couleurs qu’elle convoie, l’arrangement harmonieux mais changeant des ombres qui se posent sur un même visage, l’illustration signée Gabriel Gay dit bien les mouvements brillants de l’écriture de Denene Millner. Se joue dans ses lignes un art certain de l’entremêlement entre la marche de l’Histoire et les déferlements intimes qu’animent ses personnages. Grace, fillette qui ouvre le roman, observe sa grand-mère dans l’extrême précision de ses gestes de sage-femme. Un métier qu’elle apprend avec rigueur, dans l’admiration et le respect envers les femmes blanches que son aïeule accompagne malgré des conditions de vie misérables dans un Sud des États-Unis miné par le racisme et la ségrégation. Percutée par des visions qui l’ancrent dans ses racines comme dans les événements à venir, Grace incarne la matrice d’une saga passionnante qui suit trois femmes sur trois temporalités différentes.
Car Denene Millner ne se contente pas de détailler le schéma filial qui se dessine entre Grace, sa mère et sa grand-mère, toutes trois prises dans les vagues de haine qui s’abattent sur elles, mais s’élance dans le temps, vers le 21e siècle, à New York où la fillette des premières pages se trouve adulte, en proie à une maternité qu’on lui refuse. L’enfant qu’elle met au monde gagne les bras d’une autre femme noire et se disent alors les impacts multiples des traumatismes intergénérationnels. Dans ces blessures et ces espoirs, les héroïnes demeurent du même sang, marquées par les récits des leurs, tout en se propulsant vers de plus grands chants. Ces blessures regardent aussi du côté du cours de l’Histoire, alors que les sociétés s’annoncent anti-racistes mais que sévit encore une ségrégation plus insidieuse.
Un livre riche des infinies nuances que portent les voix et corps de ces femmes, porté par des dialogues traduits avec une grande justesse par Valérie Le Plouhinec et un grand sens du romanesque.
Paru pour la rentrée littéraire 2023 (24 août), Du même sang a été en lice pour le Prix Roman Fnac 2023.