"Heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière" : le nouveau roman de Raphaëlle Giordano

Son tout dernier ouvrage n’échappe pas à la règle : on y retrouve la fantaisie et l’humour de la romancière mais aussi une certaine gravité. Chacun de ses personnages, s’il semble à première vue épanoui, se révèle finalement bien plus complexe. La protagoniste de Heureux les fêlés car il laisse passer la lumière est une architecte d’intérieur de 28 ans, créative et douée. Pas de chance, elle est affublée d’un prénom vieillot : Henriette. Mais ce n’est qu’un détail, le fardeau qui pèse sur ses épaules est ailleurs. Henriette est une hypersensible. Le monde entier lui fait peur et, plus encore, le regard des autres. Depuis l’enfance, elle fait bien des efforts pour paraître à son aise. Mais quelquefois un rien la fait basculer, elle se dit elle-même atteinte de « trophobie », trop de nouveautés, trop d’inconnus, et elle panique. Persuadée d’être la seule dans ce cas, elle ne voit rien des faiblesses des autres. Et pourtant… Auguste, l’architecte paysagiste qu’elle vient juste de rencontrer, a lui aussi ses phobies, ses « peurs inavouables » comme les appelle l’autrice. Comment ne pas se reconnaître en lui, et en tous ceux qui, honteux, refusent de confesser leur secret, cette terreur incontrôlable qui s’immisce partout, au plus mauvais moment. Raphaëlle Giordano nous rappelle qu’avoir peur de la nuit, du sang, des chiens, peur de s’exprimer ou de ne pas satisfaire son amoureuse, n’est en rien exceptionnel. L’être humain a ses failles et oser les avouer peut changer la donne.

Henriette et Auguste, véritables héros de comédie romantique, vont mettre du temps à se comprendre. Mais peu à peu, Auguste va lui apprendre l’essentiel : tenter d’apprivoiser ses faiblesses est le meilleur des remèdes. L’adorable Claire de Montlhéry, coincée dans sa somptueuse maison pour laquelle Henriette et Auguste imaginent un jardin de rêve, a tout pour être heureuse. Il lui faudra du courage pour révéler à son mari une angoisse qu’elle n’arrive plus à dissimuler. Tony, le symbole même de la virilité, peut aussi avoir des frayeurs enfantines et sera contraint de les révéler. Non, Henriette n’est pas toute seule, elle est l’un des maillons de cette chaîne, immense, de femmes et d’hommes impuissants à contenir leurs émotions, empêchés dans leur quotidien. Chacun se reconnaîtra, d’une façon ou d’une autre dans ces pages, regardera même d’une autre manière ses proches, prendra peut-être son courage à deux mains pour vider, enfin, son sac. Et s’alléger de ce poids, comme l’ont fait ces internautes à qui Raphaëlle Giordano a demandé de se dévoiler dans un blog : à la fin de l’ouvrage, on peut lire leurs confidences. Parfois drôles et souvent émouvantes, toutes réchauffent le cœur.