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Par Presses de la Cité, publié le 17/02/2020

"Jacques l'enfant caché" : Emmanuelle Friedmann rend hommage à ceux qui ne sont plus là pour témoigner

Avec Jacques, l’enfant caché (Presses de la Cité), Emmanuelle Friedmann raconte l’histoire d’une centaine d’enfants juifs cachés dans un château de l’Oise pendant la Seconde Guerre mondiale. Un roman alliant la force de l’émotion à la tragédie de l’Histoire, inspiré de l’enfance du père de l’auteur. Rencontre.

Au sortir d’études d’histoire économique et sociale contemporaine qui devaient la mener au professorat, Emmanuelle Friedmann a pris des chemins de traverse. Après plusieurs années dans l’édition, elle se partage désormais entre l’écriture de romans et celle de documents. Passionnée d’histoire et d’actualité, ses romans ont souvent pour thématiques l’enfance, la mémoire, la recherche des origines et les ravages provoqués par les conflits mondiaux.

Journaliste, elle s’intéresse également aux combats de son époque et aux problématiques contemporaines : les relations hommes/femmes, la question du logement, la souffrance au travail, l’égalité hommes/femmes et ses dérives, la maltraitance gynécologique, le cyber-harcèlement, le machisme en politique, l’environnement.

Une origine familiale

Jacques, l’enfant caché, raconte l’histoire d’un petit Parisien juif de huit ans ayant échappé de peu aux rafles. Cet enfant est le père de l’autrice…

Nous sommes en 1943. Grâce à sa présence d’esprit, Jacques est parvenu, avec sa mère, à fuir la police française. Son père, communiste et résistant proche de la mouvance MOI (de l’Affiche rouge), a été arrêté et fusillé quelques mois plus tôt. Jacques et sa mère se cachent chez un oncle, mais la situation à Paris se dégrade rapidement : les arrestations se multiplient, la traque des juifs s’intensifie.

Le petit garçon est alors envoyé à la campagne, chez un pasteur qui a créé, pour accueillir et sauver des enfants juifs, une colonie de vacances. Colonie qui va durer près de deux ans, à proximité de Verberie, dans l’Oise. Tout le village se doute de ce qui se passe et, pourtant, il n’y aura jamais aucune dénonciation…

"C’est la première fois que mon père est éloigné de sa mère. Il le vit d’autant plus mal qu’il n’a plus aucune nouvelle d’elle. Ce n’est pas une époque où l’on explique aux enfants ce qui se passe. Mon père a surtout compris qu’être juif le mettait en danger ; tout le reste lui semble nébuleux. Il est entouré d’autres enfants qui, comme lui, portent des histoires très douloureuses, certains ont vu leurs parents se faire arrêter ou tuer", raconte Emmanuelle Friedmann.

Une question de transmission

L’autrice a souhaité rendre hommage à sa famille – à ceux qui ne sont plus là pour témoigner. Mère de petits jumeaux, elle avait aussi à cœur de leur transmettre cette histoire :

"Je voulais évoquer le destin des enfants cachés, de ces tout jeunes garçons et filles qui ont appris à se taire, à ne rien laisser paraître de leurs émotions malgré la peur et le désarroi d’être séparés de leurs parents.

Beaucoup n’ont jamais revu leur famille, d’autres ont eu la chance d’être à nouveau réunis, mais certains ont retrouvé leurs parents si changés, si éprouvés par la guerre que ceux-ci n’ont plus eu la force de les élever. Personne ne s’est préoccupé des répercussions. Les adultes et les enfants eux-mêmes étaient véritablement convaincus de ne pas avoir souffert : ils n’avaient pas été arrêtés ni déportés – ils n’étaient pas morts, cela seul importait. Il fallait reprendre le cours de la vie là où il s’était arrêté.

Parvenus à l’âge adulte, beaucoup en ont éprouvé les conséquences, ne parvenant pas à communiquer, à exprimer leur souffrance… Dépression, échec scolaire ou familial en ont découlé. Aujourd’hui on parlerait de stress post-traumatique. Dans le livre, cela est perceptible : quand la mère de Jacques vient le rechercher à la colonie, elle n’est plus la même."

Le portrait d’un Juste

Le pasteur de ce roman n’est autre que Jean Joussellin, un homme foncièrement ouvert, épris de pédagogie, qui avait le désir de transmettre aux enfants les valeurs du scoutisme comme du protestantisme en tant que philosophie de vie. Il ne faisait pas de prosélytisme et souhaitait simplement que les enfants profitent de leur séjour forcé pour apprendre sur eux-mêmes autant que sur le monde.

Au terme d’une véritable enquête, Emmanuelle Friedmann a retrouvé les enfants du pasteur, une rencontre qu’elle nous décrit comme lumineuse : "Jean Joussellin a été fait Juste en 1980, l’année de son décès. Mon père ne l’a jamais revu et moi, je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai eu la chance de retrouver ses fils. J’ai été totalement bouleversée, comme si le passé et le présent se rejoignaient. J’ai été bien sûr peinée que mon père ne soit plus là ; cela aurait apaisé sa souffrance ; il se serait réconcilié avec son passé. Mais c’est comme s’il m’avait légué ce devoir de mémoire, pour que je puisse à mon tour porter et transmettre une judaïté joyeuse à mes enfants."

 

Presses de la Cité