Pour son premier roman, Honorée Fanonne Jeffers a choisi de dresser une fresque historique magistrale. L’histoire puissante d’une famille africaine-américaine, de l’esclavage à aujourd’hui.
Il lui fallait regarder derrière elle pour mieux se retrouver. Se retourner vers un monde immense, passionnant, trouble et complexe. La jeune historienne Ailey Pearl Garfield, née au début des années 70, s’interroge sur ses ancêtres, des Amérindiens, des colons blancs ou des esclaves venus d’Afrique, ses racines à jamais gravées en elle, son héritage. Elle nous fait pénétrer de plein fouet au cœur même de l’histoire des Afro-Américains en se concentrant sur la destinée de quatre générations de femmes sur près de trois siècles, leur vie d’esclaves, le drame du déracinement, la violence inouïe qu’elles auront à subir.
Ailey, elle, est née à « la Ville » dans une famille bourgeoise, un père médecin, une mère enseignante, mais ne se sent enfin elle-même que dans le Sud, à Chicasetta où se mêlent peaux claires, peaux foncées, où le racisme sévit même entre Afro-Américains, où les traditions demeurent. Personnalité vibrante, féministe convaincue, c’est en découvrant le passé de sa famille qu’elle va obtenir des réponses sur elle-même, se libérera de ce poids immense qui pesait sur ses épaules et, pourquoi pas, vengera la destinée des femmes qui l’ont précédée.
Les longs passages sur ses ancêtres esclaves sont sans doute les plus puissants, les plus explicites aussi. La cruauté des Blancs, leur inhumanité, leurs violences physiques et sexuelles paraissent inimaginables et pourtant rien n’est inventé, et le réalisme de ces pages serre ô combien le cœur. Tant de thèmes sont dans ce livre évoqués : l’éducation, la place de la femme noire américaine dans la société d’hier et d’aujourd’hui, les différences de classes sociales, les relations mère-fille, les non-dits et les secrets inavouables…
Honorée Fanonne Jeffers dit avoir voulu écrire un roman féministe noire et pas un manuel d’histoire. Comme elle a raison ! En mêlant grandes dates marquantes (l’abolition de l’esclavage, la fin de la ségrégation dans les écoles, la mort de Martin Luther King) aux scènes intimes de son héroïne et de ses aïeuls, elle nous apprend bien plus sur la vie quotidienne de ces anonymes que n’importe quelle thèse. L’autrice ose une certaine liberté narrative, ne suit pas de chronologie, change de narration (Ailey relate son histoire à la première personne, puis d’autres personnages prennent le relais, cette fois à la troisième personne), tout cela sans jamais nous perdre, bien au contraire.
Des extraits de l’œuvre de W.E.B. Du Bois au début de chaque chapitre, permettent de mieux comprendre l’ambition de l’autrice : en s’inspirant de cet intellectuel, historien, sociologue et grand leader des droits civiques, elle suit en quelque sort ses traces. Honorée Fanonne Jeffers est une combattante, une résistante, et sa saga, si flamboyante, si instructive, et surtout si maîtrisée, a fortement impressionné, dès sa sortie, les lecteurs américains. Rappelons que cette poétesse et essayiste, lauréate pour ces Chants d’amour de Wood Place du très convoité National Book Critics Circle Award de fiction, sélectionnée en France pour le Grand prix de littérature américaine 2023, nous offre ici son tout premier roman.
Ils ont su séduire les coeurs et captiver les esprits : ces livres ont été primés ou sont en lice pour recevoir un prix littéraire. Découvrez la crème de la crème de cette rentrée littéraire 2023.