Il aurait sans doute balayé d’un revers de la main le mot « culte » associé à son nom. Jean-René Huguenin ne devait pas être de ceux qui se délectent de ces mots pompeux. Et pourtant, sa mort, à l’âge de vingt-six ans, a fait de lui une légende.
Un seul roman, La Côte sauvage, en 1960, un Journal paru après sa disparition, et l’écrivain est entré dans le panthéon des Lettres. Comment pouvait-il en être autrement ? Sa plume à la fois classique et fiévreuse, son regard sur le monde, sa détestation de la complaisance ne pouvait qu’attiser la curiosité de ses pairs puis, et ils furent nombreux, de ses lecteurs. Les adolescents en colère contre leurs parents, contre une société d’après-guerre qu’ils méprisaient, ont trouvé dans les pages d’Huguenin ce qu’ils avaient envie de lire.
Les Enfants de septembre a été retrouvé récemment. Il a fallu classer ce manuscrit, le reconstituer, comme l’explique Olivier Wagner dans son avant-propos. On retrouve dès les premières lignes, la plume de l’auteur, son bouillonnement, sa fougue, ses phrases si belles qu’elles donnent envie chaque fois de les retenir. Son héros, Philippe, lui ressemblait-il ? Était-il, comme lui, et dès l’enfance, déçu par la vie ? Car ce livre est l’histoire d’une déception, qui commence, comme souvent, par celle qu’il éprouve pour ses parents. Le portrait qu’il en fait est d’une grande violence, d’une incroyable cruauté. Un père, lâche, coureur, collaborant avec les Nazis. Une mère revêche, amère, hostile. Son mépris ne s’arrête pas là. Son frère, sa belle-sœur, ses camarades, peu d’entre eux ne trouvent grâce à ses yeux. Philippe a une haute idée de l’existence, il sait ce qu’il ne fera jamais mais ne sait pas s’y prendre pour conduire sa vie comme il l’entend. Son ami Nicolas, juif russe très pauvre, a perdu ses parents dans les camps. Ce drame, il le porte comme un poids, une injustice dont il ne peut se défaire. Et, quand à cause de la mère de Philippe qui le trouve exagérément insolent, il ne pourra pas poursuivre ses études, la réalité le frappe en pleine face. Il devra se battre, contrairement à Bertrand, gentil garçon un peu fat qui observe, abasourdi et admiratif, le comportement extrême de ces camarades.
Ces jeunes idéalistes comme on n’en fait plus, ou peut-être justement comme on en fait encore, sont tout à la fois admirables, agaçants, jaloux et tellement tristes. Ils refusent d’être heureux, se moquent du bonheur et de ceux qui croient l’éprouver, n’osent pas s’avouer vaincus. De Paris aux vacances en Bretagne ou dans le Val de Loire, le roman nous fait vagabonder, change parfois de ton. Il nous rappelle le goût oublié de l’adolescence, cette période charnière bien trop complexe, bien trop éprouvante pour certains. C’est aussi là tout le talent de Huguenin : plus de soixante ans après l’avoir écrit, il explore avec précision, et tellement de modernité, ces émotions particulières, la rugosité, la rage des cœurs perdus, une tempête intérieure, une certaine nostalgie de la jeunesse.
Pas toujours simple de s'y retrouver parmi le vaste choix des titres de la rentrée littéraire. Pour vous aider à choisir les romans à ajouter à votre pile à lire, l'équipe Lisez vous a préparé une sélection de ses coups de coeur.