Lisez! icon: Search engine
Par Seghers, publié le 25/10/2023

Quand Stéphane Manel rencontre Bacon...

L'artiste-dessinateur de « Bacon, éclats d'une vie » raconte l'histoire de sa rencontre avec le peintre

Stéphane Manel raconte sa découverte de Francis Bacon et le chemin qui l'a amené à dessiner superbement sa vie et son oeuvre dans Bacon, éclats d'une vie, coréalisé avec Franck Maubert. Une rencontre qui a marqué l'artiste-dessinateur...

 

La découverte de Bacon

L’été 1986, j’ai quinze ans. Depuis environ un an je commence sérieusement à considérer le dessin comme le moyen d’expression qui me convient le mieux. Je dessine en permanence. Je cherche, je tâtonne, mais j’ai déjà une prédilection pour les portraits, particulièrement les profils, depuis que j’ai découvert par hasard sur la tranche d’un livre un portrait de Soupault par Picabia. Même si je n’ai aucune idée de qui cela peut être alors. Francis Picabia… pour moi il est français. Peu importe. Je continue à dessiner frénétiquement. Des petits punks, des salles de bains sordides, des personnages sur des tas de poubelles, un camion jaune, beaucoup de musiciens, des personnages solitaires issus de films imaginaires. Toute une civilisation. J’aime les « Stills », ces images que l’on trouve devant les cinémas ou dans des revues. Des images arrêtées qui me font rêver. Avec mes moyens limités, des feutres le plus souvent, je m’invente des mondes. Un petit monde, qui me permet de m’évader.

Cet été de mes quinze ans donc, nous sommes en vacances en Vendée et mon père achète tous les jours beaucoup de presse. Quotidiens (de Paris ?) et magazines. Un jour une couverture m’attire plus que les autres. Celle de Globe. Une fille longiligne à la bouche immense en fuseau noir, (la fille des pubs Perrier ou Contrex, je ne sais plus, elle buvait manifestement beaucoup d’eau) sur un fond blanc. Et un titre en orange au-dessus. Premier impact. Je feuillette et là je découvre une interview de Gainsbourg sur son rapport à la peinture, illustrée d’une huile de jeunesse et de quelques reproductions d’autres peintres. Et en petit une reproduction d’une image qui me paraît être extrêmement moderne, d’un homme au visage déformé, accoudé à un lavabo, portant une montre et des Converses. Je ne comprends pas comment une telle œuvre peut exister. Que cela puisse autant correspondre à ce à quoi je crois inconsciemment aspirer. C’est un choc. Sous le tableau est inscrit Francis Bacon. Encore un Français me dis-je. Et je retiens je ne sais pas pourquoi, le nom du journaliste. Franck Maubert…

                                                                                                    Study for a Self-Portrait—Triptych, 1985–86

Le début du voyage

À la rentrée, je cherche ce que je peux trouver sur ce peintre qui m’obsède. Mon père, encore lui m’offrira à Noël, un livre sur Bacon. (Par Dawn Ades & Andrew Forges paru en 1985). Avec cela j’ai de quoi faire. Cela devient vite un de mes livres de chevet. Suivent une affiche du pape qui hurle achetée à la Fondation Maeght et surtout l’exposition en 1987 à la Galerie Lelong rue de Téhéran qui me bouleverse car j’en vois pour la première fois en vrai. J’achète les catalogues rouges et un poster superbe d’un portrait de John Edwards. Gainsbourg le cite aussi dans un des titres de Love On The Beat. Les années passent. À Londres, je fais à chaque fois un détour pour me retrouver dans la cour du 7 Reece Mews. Une fois j’ai cru l’apercevoir dans la rue de très loin. Mais Bacon est mort depuis.

Au début des années 1990, je découvre par mon ami Mathias Cousin dont il est le filleul, le travail de Pierre Le-Tan. Même émerveillement que pour Bacon. Bien que leurs univers n’aient absolument rien en commun, Le-Tan dessine Bacon dans un de ses ouvrages que j’ai presque désossé à force de le compulser, l’Album (rose). Éditeur Aubier. Mais à l’intérieur le nom de Franck apparaît. Et là toutes les lignes commencent à se croiser. Le-Tan nous expliquera même un jour à Mathias et moi avoir été chez Bacon à Londres. Et que pour tracer ses cercles sur la toile il utilise un couvercle de poubelle. Nous avons vingt ans, l’anecdote nous plait. Je saurais plus tard que c’est par Franck que cette rencontre a eu lieu.

La rencontre avec Franck Maubert

Au milieu des années 1990 (Mathias est mort depuis et ne peut pas m’aider) nous sommes dans un appartement à Montrouge, je crois, où sont entreposés des décors que Pierre Le-Tan réalise (à moins qu’il ne s’agisse de l’appartement lui-même qui ne fût décoré, je ne sais plus). Nous sommes quelques rares convives et j’engage la conversation avec un ami et un homme d’environ vingt ans de plus que nous. Il me demande ce que je fais, je réponds que je suis comme Mathias, un futur dessinateur. Et lui me dit qu’il se nomme Franck. Je demande si à tout hasard il n’est pas ce Franck qui est à chaque fois sur la route des artistes que je découvre. Banco. Et étrangement il me parle d’un dessin qu’il a vu le matin même dans la presse pour une pochette de Gainsbourg et qu’il a aimé justement. Et comme le hasard est finalement très bien ordonné, ce dessin était de moi. Anecdote et rencontre. Autour de trois artistes finalement.

La collaboration des artistes

Les années passent. Je vois encore le nom de Franck en exergue d’un roman de J. M. Roberts que j’adore et je lis ses romans au hasard de leur parution. Je suis son travail. Un jour, il me contacte sur Instagram pour un projet que nous ne ferons pas mais qui nous permet de vraiment nous rencontrer. On cherche une idée, le roman graphique Monsieur Proust de Céleste Albaret sort aux éditions Seghers. Et la suite la voici : Bacon, éclats d’une vie.

Bacon aurait dit que pour raconter sa vie il faudrait le talent de Proust. C’est je crois une bonne transition entre les deux livres.

 

Seghers

Lisez maintenant, tout de suite !