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Par Lisez, publié le 29/01/2019

Stephen Carrière : "J'adore le fantastique qui rappelle le réel"

Avec L’Enchanteur, Stephen Carrière s’attaque avec finesse au roman d’apprentissage. Ses héros ne possèdent aucun super-pouvoir mais leur cœur, leur curiosité et leur courage pourraient bien les aider à déjouer les plans d’une créature ancienne et féroce. L’auteur a répondu à nos questions.

Stan est un conteur hors pair, un magicien des mots. Il tisse des toiles de mensonges qui adoucissent la réalité. Au lycée, ses camarades viennent le voir avec leurs problèmes et Stan confectionne pour eux d’étonnants stratagèmes capables de tout résoudre. Aidé de sa bande d’amis fidèles, le jeune homme doit maintenant accomplir un miracle : transformer la mort annoncée de son meilleur ami malade en spectacle grandiose. Ainsi commence L’Enchanteur (Pocket Jeunesse), première incursion de l’éditeur et auteur Stephen Carrière dans la littérature Young Adult. Un roman original et érudit qui met en scène des jeunes héros curieux de tout, soudés dans leur quête par un lien infaillible. Une amitié puissante et pure comme seuls les adolescents sont capables de la vivre. À cette bouleversante histoire s’en mêle une autre bien plus sombre. Car dans les rues du centre-ville, un mal rode et s’en prend aux adolescents. Se pourrait-il qu’il s’agisse d’un véritable monstre ? Teinté de fantastique mais ne perdant jamais de vue la réalité et les sujets de société qui la polluent (attentats, xénophobie, etc.), L’Enchanteur est une lecture captivante et qui pousse le lecteur à se questionner. Un ravissement.

Votre roman s’adresse aux adolescents mais cela ne l’empêche pas d’être très érudit. Étais-ce un souhait de montrer que l’on n’a pas besoin de simplifier les choses pour plaire aux jeunes et se faire comprendre d’eux ?

Ce n’est pas un acte militant. C’est intéressant et compliqué cette notion de littérature pour jeunes adultes. Quand j’étais adolescent, la lecture qui nous était naturellement destinée était la littérature de genre. Notre génération était addict de science-fiction, de fantasy, de thriller et de toute la littérature d’aventure. Robert Louis Stevenson ne se demandait pas s’il écrivait L’Île au trésor pour des ados ou des adultes. Aujourd’hui, le succès de cette littérature a créé un segment, une cible. Depuis que le livre est sorti, je rencontre quand même beaucoup d’adultes qui achètent des livres estampillés "jeunes adultes". Sous ce segment, il y a finalement quelque chose qui n’a pas beaucoup changé depuis mon adolescence. En librairie, le Young Adult attire beaucoup de gens qui recherchent de la littérature de genre. En relisant des romans pour ados avec ma fille de 13 ans, je me suis rendu compte à quel point ce genre était terriblement inventif. Les écrivains s’éclatent, ils mélangent tout.

En termes de style d’écriture et d’érudition, je me souviens de qui on était à 15 ans et on était très ambitieux, on n’avait peur de rien. Les ados d’aujourd’hui sont brillants. Écrire un roman jeunesse ne doit pas impliquer le nivellement par le bas, bien au contraire. Je ne me suis donc empêché de rien : aucun sujet, aucune référence, aucune difficulté. Une chose que j’ai remarqué c’est que les ados d’aujourd’hui sont totalement intolérants à l’ennui, contrairement à ma génération. Du coup, je me suis dit que j’allais être aussi ambitieux que je voulais l’être sur le contenu mais je vais beaucoup travailler à ce que le livre soit rythmé de façon à ce que le lecteur reste en haleine.


Votre livre possède une couche fantastique mais il est aussi très ancré dans le réel. Vous y parlez des attentats, des conflits communautaires. Pourquoi avoir choisi de parler de ce qui se passe réellement en France plutôt que de créer une intrigue reposant sur de l’imaginaire ?

Je fais comme tous les écrivains, je reconstruis les choses à posteriori. Mais la vérité c’est que ce qui est du domaine du choix dans les premiers actes d’écriture n’est pas planifié. Il y a des choses qui nous échappent, qui se mélangent. Ce qui est certain, c’est que je voulais faire du fantastique dans le réel. Le fantastique est utilisé dans beaucoup de genres, de la science-fiction à la dystopie, mais il peut aussi avoir une autre valeur et un autre rôle. J’adore le fantastique qui rappelle le réel, qui le met en lumière. Notre époque est magnifique mais d’une certaine façon elle manque de héros et d’héroïsme. J’avais envie de héros qui ne disposent d’aucun super-pouvoir mais qui aient envie de sauver le monde.

Vos héros sont des ados ordinaires mais ce qui va les aider dans leur quête c’est leur amitié, leur inventivité et leur culture. Ça vaut tous les pouvoirs magiques selon vous ?

Leur premier pouvoir, c’est la bande, ce qu’ils ont trouvé dans cette amitié qui leur donne un courage extraordinaire mais aussi une forte résilience. Ensuite, c’est vrai qu’ils sont curieux de tout. L’intelligence se nourrit de la curiosité et dans la curiosité il y a la culture, donc les arts.

À l’instar des héros, les méchants de l’histoire ne sont pas des êtres extraordinaires. D’après vous, le mal est-il plus encore plus terrifiant quand il est distillé par des personnes ordinaires ?

Il y a un vrai monstre dans le livre mais les méchants sont plus terrifiants quand ils sont crédibles. J’aime bien l’idée d’avoir des méchants complexes qui sont des êtres humains et pas juste des porteurs de couteau. Moi je voulais savoir qui ils sont, pourquoi ils font ce qu’ils font, est-ce qu’ils sont crédibles, est-ce qu’ils existent ? Il y a un monstre qui se balade en ville et il y a les monstres très ordinaires aux pouvoirs assez terrifiants et qui nous ressemblent.

Vous avez déjà écrit deux romans destinés aux adultes. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans l’écriture d’un roman Young Adult ?

C’est une conjonction de choses. J’ai une fille de 13 ans qui adore bouquiner, donc on bouquine beaucoup ensemble. Je suis auteur et éditeur et les livres sont ma grande passion. Je lis ce qu’elle lit depuis le début pour qu’on puisse en discuter. En plus de ça, dans le collectif de maisons d’édition que j’anime, il y a La Belle Colère, une maison qui édite uniquement des livres destinés aux adolescents. Donc forcément, je suis imprégné par ça aussi. A force de lire avec ma fille et de redécouvrir la scène française de la littérature jeunes adultes, à force d’en publier et de lire beaucoup de manuscrits, à force de m’interroger et de travailler avec des auteurs, forcément ça infuse. Je me suis dit que moi aussi j’avais envie de travailler sur l’adolescence.

La quatrième de couverture de votre livre compare votre histoire à la série Stranger Things et au roman Le Talisman de Stephen King et Peter Straub. Ces œuvres ont-elles vraiment influencé votre roman ?

Stranger Things a été importante car je l’ai découvert avec ma fille. L’attente de la deuxième saison a été un moment magique. Je voyais ma fille guetter le retour de la série et je me disais que les jeunes n’ont plus l’occasion d’être en attente d’un objet culturel. L’attente crée du désir et le désir crée l’attente. Stranger Things est aussi un hommage à Stephen King car il y a tout ce côté rétro. Je ne prétends pas être Stephen King mais L’Enchanteur a un gros point commun avec Le Talisman, ce sont les motivations du héros du Talisman. La mère de Jack est en train de mourir et il y a cette quête absolue par rapport à l’inacceptable. Stephen King est très fort pour rappeler que la mort est une chienne et qu’on ne peut pas s’y faire. Il est aussi très fort pour nous faire peur avec et trouver des subterfuges.

Est-ce que la culture adolescente vous intéresse ou est-ce que ce qui vous intéresse plutôt c’est l’expérience émotionnelle que l’on vit en tant qu’adolescents ?

Je ne me vois pas comme un ethnologue qui observerait l’adolescence. J’ai 46 ans et je me dis encore qu’on m’a bien arnaqué. Quand j’étais ado, je pensais qu’une fois adultes on aurait compris plein de trucs. Je ne regarde pas les ados de loin, je regarde comment ma fille et ses amis vivent mais je ne dirais pas que j’ai un intérêt pour la culture adolescente. En revanche, j’ai la chance d’avoir traversé l’adolescence avec une bande. Mon noyau d’amis je les ai rencontrés à l’âge de 12 ans et ils sont encore là. Toute mon adolescence a été façonnée par mes amis. L’un des grands sujets au cœur de L’Enchanteur, c'est la bande.


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