L'Oeuvre : Le livre de Émile Zola

Dans ce roman, Zola explore les milieux artistiques sous le second empire et dresse, à travers le personnage de Claude Lantier, le portrait d'un peintre contrarié. Génie annonciateur de l'impressionnisme, ce dernier ne parvient qu'à créer quelques ébauches, échouant à produire l'oeuvre suprême. Le roman témoigne de cette opposition entre la création artistique, qui exige tout de son créateur, et un mode de vie bourgeois. Marié à Christine, Claude a un fils qu'il néglige totalement. Et lorsque l'enfant meurt, son père se contente de l'immortaliser sur une toile! L'artiste est un égoïste, semble nous dire Zola. La fin du roman est très évocatrice. Christine, folle de désir envers son mari, se désespère car il lui préfère les personnages féminins de ses toiles. Incapable de créer ce à quoi il aspire, le peintre se pendra. Le style est superbe, riche en métaphores et en personnifications. Et le personnage de Sandie est intéressant, dans la mesure où Zola fait en quelque sorte son autoportrait à travers lui.

Ici c'est autour de Claude Lantier que se déroule l'action de L'oeuvre. Déjà aperçu dans le Ventre de Paris et dans L'Assommoir, il est l'un des fils de Gervaise. C'est un roman qui paraît très personnel, puisqu'il est construit autour de 2 amis d'enfance: Claude Lantier et Pierre Sandoz. Peinture et littérature. Ils sont les alter-égo de Cézanne et Zola qui se sont eux aussi connu dans leur jeunesse à Aix avant de migrer sur Paris. On évolue dans ce milieu artistique du XIXème siècle, on y rencontre d'autres artistes: Dubuche pour l'architecture, Mahoudeau pour la sculpture, Gagnière pour la musique et Jory pour la critique. Au départ, l'ambiance est très gaie, les amis sont pleins d'espoir, courent le milieu bohème parisien, ils sont libres, ils ont des idéaux, une vision nouvelle de l'art et ont envie de la partager. Ils s'admirent et se soutiennent entre eux, ils peuvent compter sur des amitiés solides, ils rencontrent l'amour… et puis, inexorablement, sans réel facteur déclenchant, c'est la déchéance… La quête de reconnaissance devient une lutte acharnée, les refus du salon annuel par des jurys corrompus se répètent, les critiques acerbes devant les idées avant-gardistes les placent au banc de la société artistique parisienne. [masquer] Claude va tout perdre. L'amour de son épouse, son argent, son fils, son talent, la reconnaissance de ses paires, ses amis, jusqu'à sa vie.. [/masquer] J'ai aimé dans ce quatorzième tome, les monologues de Sandoz dans lesquels j'ai imaginé Zola nous livrer une part de sa propre vie, de ses difficultés face à l'écriture de son immense fresque littéraire, et des difficultés qu'il a pu rencontrer face à la critique. J'ai regretté que les femmes ne soient reléguées ici qu'au rang d'épouses ou de modèles, ce qui n'est pas habituel chez l'auteur qui les avait rendu plus présentes et actives dans ses autres romans.

Mon dernier Zola était la mine de Germinal mais c'est pourtant l'Oeuvre qui laisse sur le carreau. Contrairement au précédent, peu d'actions et de longues descriptions, toujours parfaites mais longues pour un lecteur peu éduqué au style que je suis. Mais quel style! Et, dépassé par son sujet qui lui est si personnel, Zola n'a pas besoin de la "machine" de son hérédité pour exposer l'échec et la difficulté de conjoindre des idées révolutionnaires avec un monde conservateur et surtout conformiste. Telle une mouche se heurtant à la vitre de sa prochaine folie, le héros,s'il faut l'appeler ainsi, nous enseigne une sorte de prudence à rebours de lui, mais nous force au respect. Zola en est un témoin actif et nous donne un livre dur, parfois aux limites du fantastique. On finit atterré.

L’Œuvre, quatorzième volume de la série des Rougon-Macquart, est un roman d’une grande finesse psychologique et d’une lucidité cruelle sur le processus créatif et ses tourments. À travers le personnage de Claude Lantier, peintre habité par une ambition sans bornes, Émile Zola explore les affres de l’art, le poids du génie, et les ravages de l’obsession. Zola y livre une réflexion poignante sur l’échec artistique, l’isolement du créateur, et le sacrifice de la vie personnelle au nom d’un idéal esthétique inaccessible. Inspiré de sa propre expérience et de son amitié brisée avec Cézanne, L’Œuvre prend une dimension presque autobiographique, douloureuse et intime. L’écriture est à la fois dense, précise et pleine de sensibilité. Le Paris artistique de la fin du XIX#7497; siècle y est dépeint avec un réalisme saisissant, entre ateliers, salons et misères d’artistes. Le roman frappe par la tension constante entre rêve et réalité, et par la lente descente du héros dans la folie. Profond, émouvant, et d’une intensité dramatique rare, L’Œuvre est un roman majeur sur les limites de la création artistique, et l’un des plus tragiques et puissants de la saga naturaliste de Zola.