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Par Presses de la Cité, publié le 16/09/2020

Caroline Tiné : "La mélancolie est le sentiment qui habite le plus mes romans"

Avec Tomber du ciel, Caroline Tiné signe un huis clos aérien en faisant embarquer au sein d’un long vol de nuit des personnages aussi singuliers qu’attachants. Un roman mélancolique porté par une plume pleine de finesse et d’humour. À l’occasion de sa sortie le 17 septembre aux Presses de la Cité, la romancière a répondu à nos questions.

Caroline Tiné l’avoue elle-même : elle a un rapport intime à l’enfermement. Depuis L’Immeuble (Albin Michel), prix du Premier Roman en 1990, la romancière, ancienne journaliste et directrice de la rédaction de Marie Claire Maison, nourrit une obsession pour les huis clos. Après Le Fil de Yo (JC Lattès, 2015), dont l’action se situait dans une clinique psychiatrique, Tomber du ciel nous embarque à bord de l’avion A380, au cœur de l’un de ses derniers vols reliant Paris à Singapour. Des allées feutrées de la classe affaires au cockpit, les personnages imaginés par Caroline Tiné se croisent et se toisent : Talitha, ancienne hôtesse de l’air devenue journaliste, Leïla, ado atteinte du syndrome d’Asperger, Marie Ange et son chien minuscule ou encore Saul, copilote aux idées noires.

Sous la plume tendre et affûtée de Caroline Tiné, ces personnages que rien ne destinait à se rencontrer finissent par se lier quand le colosse des airs traverse une zone de turbulences, faisant chavirer par la même occasion leurs certitudes.

Quelle est la genèse du Tomber du ciel ? Qu’aviez-vous envie de raconter en captant ces morceaux de vie à travers un vol de nuit ?

Quand on est dans un avion, on est pendant des heures dans une bulle dont on ne peut pas s’échapper. C’est une vraie parenthèse, sans responsabilités, sans obligations. Je voulais mettre en scène des personnages qui étaient tous en train de faire le deuil de quelque chose. Ce Paris-Singapour de treize heures leur permet de réfléchir à ce qui leur arrive, de prendre du recul avec l’idée que, peut-être, une fois qu’ils vont atterrir, ils trouveront une résolution à leurs questionnements.

Il y a la flamboyante Marie Ange, la mystérieuse Leïla, le fragile Saul, la gracieuse Talitha… Comment avez-vous procédé pour inventer cette petite troupe excentrique ? 

J’ai un réflexe très journalistique : quand j’imagine les personnages, je n’ai pas de plan mais je sais exactement à quoi ils ressemblent. Je connais leur passé, leurs envies… Ce sont les personnages qui s’imposent à moi. C’est très réconfortant : ils se mettent tous à vivre les uns après les autres sans que je sache trop pourquoi.

Il y a aussi Anil, dont l’apparition donne une dimension spirituelle au roman…

J’ai passé beaucoup de temps en Inde, c’est un pays très spirituel. Cela se ressent dans le personnage d’Anil : c’est un sage malgré la vie dissolue qu’il a menée. Et, même s’il sait qu’il va mourir, c’est un personnage plein d’espoir parce qu’il transmet des valeurs positives qui permettent aux autres d’évoluer. Ce n’est pas triste, c’est mélancolique. La mélancolie est le sentiment qui habite le plus mes romans.

Tomber du ciel est un roman choral mais le personnage de Talitha, l’ancienne hôtesse de l’air devenue journaliste, est central. Comment l’avez-vous imaginé ?

Je crois que Talitha contient un peu de tout le monde. Elle est la mère de tous les personnages pendant le vol : elle les rassure, les réconforte, prend soin d’eux. Mais pour moi, le vrai personnage principal, c’est cet A380. Je m’en sens d’autant plus proche que son démantèlement a eu lieu pendant que j’écrivais. C’est une drôle de coïncidence ! Je pense que j’avais senti depuis le début que l’avion était aussi en train de faire un deuil.

Le roman contient justement de nombreux détails techniques sur l’A380. Comment avez-vous procédé pour faire vos recherches ?

J’ai été journaliste et quand on fait ce métier avec rigueur, on fait des enquêtes, on vérifie. J’ai donc beaucoup lu sur l’A380, j’ai interviewé des pilotes... C’est aussi un avion que j’ai beaucoup pris, que je trouve confortable, rassurant, qui ressemble à un immense appartement volant. Ça m’a donné envie d’y faire cohabiter des personnages déjantés, qui se rencontrent et qui a priori ne sont pas dérangés par les murs extérieurs. Sauf que l’avion se met à bouger, et ça n’était pas prévu…

Vous aimez prendre l’avion ?

J’adore, j’ai d’ailleurs beaucoup voyagé. J’aime me retrouver dans un endroit où je n’ai aucun compte à rendre, aucune politesse à exercer. Je m’y sens bercée… Et puis, c’est un lieu fermé. Dans la vie, j’adore me confiner, être isolée et travailler sur mon écriture. Ce n’est pas un hasard si je n’écris que sur des huis clos ! J’ai clairement un problème avec l’enfermement, qui doit remonter à l’enfance.

Avez-vous mis à profit le confinement pour écrire ?

J’ai commencé quelque chose mais, comme beaucoup d’écrivains, j’ai eu du mal à rester concentrée. J’ai un roman en tête que je n’ai pas encore écrit… Encore un huis clos !

Dans Tomber du ciel, le personnage de Marie Ange aime observer les autres, imaginer leur vie. Faites-vous comme elle en avion ?

Je fais ça tout le temps, je suis une observatrice infatigable ! Même quand j’entends des conversations dans un café, ça me donne des idées. Il n’y a que ça qui m’intéresse dans la vie, je crois : imaginer l’existence des gens que je rencontre. Malheureusement, plus ça va, plus les personnes que je croise deviennent des personnages de roman (rires).

 

Tomber du ciel
« J’ai cessé d’être hôtesse il y a un an pour me mettre à écrire et me sortir des poisons de la tête. Seulement en avion. La nuit dans le ciel me chuchote les mots effacés dans l’enfance. Et l’odeur du feutre des fauteuils imprégnés de strates d’intimité et de vies inconnues me rapproche d’une humanité dont j’essaie de pénétrer les secrets. »
 
Vol de nuit Paris-Singapour à bord d’un Airbus A380. Talitha se met dans sa bulle. A son côté, une adolescente très particulière. Plus loin, une femme fait le deuil d'amours malheureuses et cajole son chien minuscule. Dans le cockpit, le copilote est en proie à ses démons. Et l’homme sans âge, Anil Shankar, qui revient de son ashram, est prêt pour le dernier voyage.

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