En prenant la plume pour Suzy Solidor, égérie des Années folles, Charlotte Duthoo nous donne à vivre l’incroyable existence d’une figure passionnante adulée par un grand nombre de peintres. C’est la liberté qui crie fort son nom au fil des pages de ce premier roman très incarné.
Racontez-nous votre intérêt pour Suzy Solidor, une femme au destin fou.
D’abord, c’est un destin exceptionnel. Née en 1900 de père inconnu dans une famille désargentée près de Saint-Malo, elle va conquérir le Paris artistique pour devenir chanteuse, directrice du cabaret le plus couru des années 30 et femme la plus peinte au monde. Van Dongen, Marie Laurencin, Picabia, Cocteau et Tamara de Lempicka ont tous voulu l’immortaliser. Elle est grande, sculpturale, et son charme, sa voix grave et son audace en ont séduit plus d’un et plus d’une ! Suzy Solidor, c’est en effet aussi le symbole d’une vie amoureuse sans tabou. Elle s’est laissé façonner par sa première compagne, l’antiquaire Yvonne de Bremond d’Ars, qui en a fait la « garçonne » que les plus grands peintres et photographes s’arrachaient. Elle a aussi été la maîtresse de Jean Mermoz au sommet de sa gloire. Ils partageaient le même goût de la liberté et de l’aventure. J’ai voulu retracer ce destin de femme indépendante et audacieuse qui incarne bien l’époque débridée de l’entre-deux-guerres.
Comment vous êtes-vous plongée dans sa vie ; quel a été votre démarche de recherche autour de cette femme ?
J’ai commencé par lire la seule biographie d’elle qui existait ; elle a été écrite il y a une quinzaine d’années sous une forme assez académique. Et puis je me suis immergée dans sa vie par tout ce qu’elle a laissé d’elle. J’ai lu ses quatre romans et toutes ses interviews, je l’ai écoutée à la radio raconter son parcours et je me suis imprégnée de son timbre langoureux et de ses textes tantôt marins tantôt coquins à travers ses dizaines de chansons, celles qui l’ont rendue célèbre dans la France entière et ont fait accourir le public vers son cabaret et les salles de concert. J’ai cherché sa trace dans la plupart des lieux où elle a vécu à Saint-Malo, à Paris, à Deauville et à Cagnes-sur-mer. J’ai aussi enquêté sur son époque, sur les robes qu’elle portait, sur les livres qu’elle lisait, sur les grands événements mondains auxquels elle a participé. Et puis bien sûr et peut-être surtout, je suis allée voir ses portraits dans les musées français et notamment au musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer auquel elle a légué quarante des plus beaux.
Comment trouver la voix de quelqu’un que l’on n’a pas connu ?
C’est plus facile quand cette personne a laissé autant de traces tangibles, entre portraits, entretiens, chansons et romans. Et puis j’étais guidée par une question qui m’obsédait : comment cette femme qui avait été une star de son époque avait pu être oubliée ? C’est pour cela que j’ai voulu lui faire prendre la plume, à soixante-douze ans, retirée à Cagnes, énervée qu’on l’oublie déjà, pour rafraîchir la mémoire de ses contemporains et préparer sa postérité. Au fil de l’écriture, j’ai senti que ce travail l’apaisait. Et je l’ai laissée dans cet état d’esprit à la fin de l’année 1973 et pour les dix années qu’il lui restait encore à vivre.
Il s’agit de votre premier roman. Comment avez-vous vécu ce grand saut dans le vide et le temps de l’écriture ?
J’écris régulièrement mais je n’avais jamais eu l’occasion d’aller au bout d’un projet de cette importance. J’ai adoré ce travail. Les mois que j’ai consacrés intégralement à l’écriture m’ont procuré les plus grands moments de plaisir de ma vie, en dehors de ma vie familiale et amoureuse ! Et puis il y a eu autour toutes les phases de recherches, d’enquêtes et de rencontres. Quel bonheur de rassembler les pièces d’un puzzle pour chercher à trouver la vérité d’une vie !
Cette forme des « mémoires imaginaires » semble générer un sentiment addictif. Prévoyez-vous de poursuivre sur votre lancée ?
J’espère que ce sera aussi addictif pour les lecteurs que cela l’a été pour moi ! Je me suis aussi permis de prendre la plume au nom de Suzy parce que j’ai trouvé une coupure de presse des années 60 qui annonçait la sortie de ses mémoires. Or, elles n’ont jamais été publiées pour une raison que j’ignore. J’ai voulu l’aider à achever le projet qu’elle avait eu en tête. Je ne sais pas si je retrouverai une telle convergence de facteurs qui m’amèneront à écrire d’autres « mémoires imaginaires ». En tout cas, mon deuxième roman est en cours d’écriture et il est très différent.
Militante, star internationale, sorcière, reine, pionnière du féminisme, résistante… Pure fiction ou portrait romancé, notre sélection de 17 livres vous fera découvrir des héroïnes fortes et inspirantes.