Ecrire comme on voyage, un texte de Jean-Guy Soumy !

Ecrire comme on voyage

Au pays des maçons de la Creuse, les paysans pauvres quittaient chaque année leurs terres et s’en allaient construire le Paris d’Hausmann et tous ces viaducs et forteresses qui signent nos paysages. Plus les années passent, plus il me semble que la mémoire de cette épopée influence mon travail.

Comme mes aïeux, je pars à la belle saison. Depuis mon bureau, je prends la route de l’écriture vers des chantiers ignorés, dans des espaces peuplés d’inconnus que j’entrevois sans jamais les connaître. Comme eux, j’échafaude des mondes hors de mon temps, hors de ma portée. Et pourtant bien réels.

Je construis des chimères romanesques comme ils bâtissaient des arches et des tunnels pouvant à chaque instant s’effondrer. Et ainsi que ces émigrés qui parlaient un occitan que les Français ne comprenaient pas, j’ai dû faire mienne une langue qui ne m’était pas destinée : celle des livres.

Je les imagine retrouvant leur épouse, leurs enfants, leur ferme. La joie de se dire qu’ils avaient une fois encore été capables de mener à bien ce qu’ils appelaient une campagne. Comme si l’écriture d’un livre n’était pas également une guerre menée contre son propre silence. Dans leurs besaces, parmi les toupies pour les enfants et les pièces d’Indienne pour les femmes, ils rapportaient une idée qui court toujours sur l’écran de mon ordinateur : celle d’un ailleurs. Non pas un horizon, plutôt une ligne de fuite.

Chaque terroir est à la croisée des grands chemins.

À lire le nouveau roman, de Jean-Guy Soumy "L'aiguière brisée",

Les Presses de la Cité, 2023