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Par Fleuve éditions, publié le 17/06/2021

"Écrire permet aussi de combler et de réparer" Marjorie Tixier

En cette rentrée littéraire 2021, Marjorie Tixier publie son second roman, Un autre bleu que le tien, chez Fleuve Éditions. Retrouvez ci-dessous son interview pour découvrir la genèse de ce roman poétique et bouleversant.

Comme dans votre précédent roman, ce sont les portraits de femmes — et en premier lieu celui de Rosanie — qui sont particulièrement forts dans ce texte, qu’est-ce qui vous a inspirée pour imaginer cette femme plongée dans le silence ?

      L’histoire de Rosanie est née de la découverte d’une aquarelle de Kay Nielsen, un artiste danois du début du XXe siècle qui a illustré de nombreux contes. Composée dans un style très ornementé et avec des tons pastel, elle représente une femme qui porte un bouquet de roses qu’un oiseau de feu vient lui dérober. L’illustration était sous-titrée « I have such a terrible dream, she declared » et portait le titre Rosanie. Sans m’intéresser au conte anglais à proprement parler, j’ai laissé mon esprit divaguer autour de ce prénom et de ce rêve terrible. En parallèle, j’écoutais l’opéra de Claude Debussy composé à partir de la pièce de Maurice Maeterlinck, Pelléas et Mélisande. Le texte me fascinait autant que la musique et j’ai recopié des citations que j’ai découpées et rangées dans une enveloppe. Pour écrire le premier jet de ce roman, je tirais au sort une citation qui me permettait de rédiger des fragments pour entrer dans l’intériorité de mon personnage principal, une femme mutique enfermée depuis de longues années dans un chalet des Pyrénées. Plus tard, j’ai assemblé les fragments comme on assemble les pièces d’un puzzle pour en faire une histoire à part entière. Enfin, la plongée dans le silence était un sujet qui m’intéressait, car j’ai, comme mon personnage, perdu la voix pendant quelques jours en 2004. Cette épreuve de vie a rejailli dans l’écriture, sans doute pour la sonder, mieux la comprendre et l’accepter ; mais l’histoire de Rosanie n’est pas la mienne pour autant.

 

Rosanie retrouve la parole et la mémoire grâce à un poème : pour vous, la poésie et plus généralement l’écriture ont une puissance libératrice ? 

      La poésie et la littérature en général possèdent incontestablement pour moi une force libératrice. D’ailleurs, c’est grâce à la tirade d’Hermione dans Andromaque de Racine que j’ai retrouvé la voix ! Dans mon cas, l’écriture est d’abord un moyen d’exprimer des pensées inconscientes et refoulées. Par le détour des personnages, j’aime creuser les profondeurs de l’âme humaine pour apprendre à mieux me connaître et tenter de comprendre l’être humain dans sa complexité. L’écriture est également un moyen d’évasion, car elle permet de se métamorphoser. Quand on écrit, on est comme un acteur, on s’immerge dans d’autres vies et l’on a l’impression de se dédoubler et ainsi de vivre plus intensément. Écrire permet aussi de combler et de réparer, car le cheminement créatif compense les manques par des histoires qui donnent du sens et offrent des échappatoires.

 

Les lieux où vous avez choisi de situer l’intrigue ne sont pas anodins : le refuge protecteur dans les hauteurs de la montagne, le danger de l’eau, mais également l’ouverture qu’elle peut offrir… Quelle importance a pour vous le rapport à la nature ?

            Les lieux ont une importance majeure dans ce roman, car ils sont le reflet des sentiments et de l’état des personnages. Le chalet sur les hauteurs de Bagnères-de-Luchon dans les Pyrénées, entouré de hauts sapins et totalement isolé, est mimétique du personnage de Rosanie. Celle-ci s’est enfermée dans le silence, car elle porte un secret dont elle n’a plus aucun souvenir, mais qui l’empêche d’avancer. La montagne, la forêt, le chalet sont des espaces de repli, de grand calme et de sécurité pour elle. Au contraire, l’eau est une image ambivalente dans le roman. Dans un premier temps, elle représente le traumatisme de Rosanie et, à cet égard, l’élément à fuir, mais par la suite elle devient le lieu de la possibilité d’une renaissance et d’un retour à la vie.

            La nature est fondamentale pour moi, car elle me ressource et m’apaise. Elle m’offre une joie qui ne fait que grandir au fil du temps, car je la trouve d’une beauté pure, vivante et absolue. C’est sans doute pour cela qu’elle m’inspire autant et que j’aime voyager pour écrire de la poésie et imaginer de nouvelles histoires. Rosanie ne cesse de la contempler pour se consoler du silence dont elle ne parvient pas à sortir. Félice est contrainte de s’en éloigner pour se relever d’un grave accident, mais l’envie de plonger à nouveau dans l’océan lui donnera le courage de se battre. De façon générale, le rapport du personnage à la nature est révélateur de son état psychologique et de l’étape de vie qu’il traverse.

 

Le titre de votre roman est très poétique. Qu’avez-vous cherché à mettre en lumière à travers lui ?

            Les deux héroïnes de ce roman portent chacune une douleur profonde. L’une a des bleus à l’âme, l’autre au corps. J’ai eu envie de parler de ces deux types de douleur dont l’une saute aux yeux quand l’autre pourrait totalement passer inaperçue. Malgré tout, la douleur, quelle qu’elle soit, pèse et pousse l’individu à se battre pour faire le deuil de ce qui est perdu et accueillir une nouvelle vie. Le bleu représente également la mélancolie que Rosanie et Estelle éprouvent chacune à leur manière. C’est aussi l’eau, la mer, la matrice, l’espace aquatique ou céruléen qui permet à la fois de se régénérer et de s’évader. Le bleu est enfin un symbole de la maternité qui est l’un des fils conducteurs de ce roman. J’ai choisi ce titre polysémique pour explorer la palette du bleu comme un peintre travaille la couleur sur une toile.

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