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Par Lisez, publié le 10/03/2020

"Et les vivants autour" de Barbara Abel : anatomie d'une famille (presque) normale

Après les glaçants Je t’aime et Je sais pas, Barbara Abel revient en librairie avec Et les vivants autour (Belfond), un thriller psychologique dérangeant dans lequel elle sème secrets, rebondissements et chausse-trappes. Rencontre avec une autrice qui, roman après roman, fouille la part d’ombre de l’âme humaine, et qui le fait avec une certaine délectation.

Barbara Abel nous prévient tout de suite : pour ce roman, elle s’est inspirée d’un fait divers mais elle ne veut surtout pas que l’on en dise trop. Tout juste vous dira-t-on alors que cette histoire est sordide, totalement folle, et que l’autrice belge a dû rapidement reconnaître qu’il allait être impossible pour elle de ne pas s’emparer du sujet. Et les vivants autour, c’est l’histoire de Jeanne, vingt-neuf ans, dans le coma depuis quatre ans. Mais c’est surtout l’histoire de ses parents, Micheline et Gilbert, de sa sœur aînée, Charlotte, et des autres personnages qui gravitent autour d’elle. Quand l’impensable arrive, le quotidien de tout ce petit monde vole en éclats et peu à peu, les masques tombent.

Chez Barbara Abel rien n’est jamais manichéen, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises personnes mais des gens ordinaires forcés de vivre des situations extraordinaires. Avec Et les vivants autour, elle dissèque une famille en apparence ordinaire et révèle que sous le vernis des apparences se cachent parfois les secrets les plus sombres…

Pour l’écriture de ce roman, vous vous êtes inspirée d’un fait divers survenu aux États-Unis. Sans dévoiler l’intrigue, pourquoi cette histoire vous-a-t-elle particulièrement touchée ?

Généralement, les faits divers ne m’inspirent pas particulièrement. C’est même la première fois qu’une histoire comme ça me tombe dessus. J’avais commencé la rédaction d’un autre roman quand mon compagnon m’a raconté ce fait divers, et pour moi, c’est rapidement devenu une évidence. Il y a cette femme qui est dans le coma, un drame survient et pour son entourage se pose un dilemme. Je ne veux pas trop en dire pour que les lecteurs gardent un sentiment de surprise mais il s’agit d’une histoire qui m’a beaucoup touchée.

Votre roman aurait pu se focaliser uniquement sur une enquête policière, mais ce sont finalement les réactions des proches de Jeanne et leur part d’ombre qui vous intéressent réellement. Un drame est-il révélateur de la véritable personnalité des uns et des autres ?

Je pense que lorsqu’on est dans l’urgence d’une situation dramatique et que l’on perd tous nos moyens, ce sont là que les tempéraments et les caractères se révèlent. En vérité, j’ai même dû me forcer à intégrer une enquête policière dans mon histoire car cet aspect-là ne m’intéressait pas du tout. Inversement, ce qui m’intéressait vraiment ce sont les situations qui allaient être générées par le drame au centre de mon intrigue. Bien sûr, je me suis amusée à créer des fausses pistes, à faire porter des soupçons sur les uns et sur les autres, mais c’est parce que cela permet d’attiser les tensions entre les personnages, ce que je trouve très jouissif. Dans tous mes romans, il y a finalement peu d’enquêtes policières. Moi, j’aime écrire des thrillers psychologiques.

Vos personnages sont très ancrés dans la réalité, ce sont des gens tout à fait ordinaires dont le cours de la vie va être irrémédiablement modifié suite à un événement. C’est un thème qui semble revenir souvent dans vos romans. Est-ce quelque chose que vous vous expliquez, dont vous aviez conscience quand vous avez débuté votre carrière ?

Je voulais écrire des histoires que j’aurais aimé lire. Mais j’ai constaté au fur et à mesure que j’étais à l’aise là-dedans. J’aime écrire des thrillers psychologiques et domestiques, j’y prends du plaisir, et du coup j’ai l’impression que je ne le fais pas trop mal. Mais ça, ça se vérifie dans tous les domaines. Quand on aime faire quelque chose, généralement on le fait bien. Je serais par exemple bien incapable d’écrire un thriller avec une enquête de police pleine de ramifications car ce n’est pas ce qui m’intéresse. Là, c’est sûr que je le ferais mal. C’est aussi important pour moi de pouvoir m’identifier aux personnages et de permettre au lecteur de pouvoir s’identifier. Les gens qui aiment ce genre de littérature, c’est ça qu’ils apprécient. Ils se demandent toujours ce qu’eux feraient à la place de tel ou tel personnage.

Vous évoquez le thriller psychologique et domestique, des genres littéraires qui sont trustés par les autrices. Dans une veine différente, le cosy mystery est également dominé par des femmes. Vous qui écrivez depuis de nombreuses années, comment expliquez-vous l’appétence des femmes pour ces histoires ?

Je pense que l’on a un point de vue différent des hommes. C’est très cliché ce que je vais dire, mais peut-être que l’on est plus forte sur tout ce qui a attrait à la psychologie, alors que les hommes sont plus dans l’action. Une autrice de littérature noire va probablement être plus dans la réflexion. Évidemment, on trouve aussi l’inverse. Il y a des femmes qui sont très fortes dans l’action, et des hommes dans la réflexion. Il faut aussi bien le dire, ce côté plus féminin a trouvé un écho auprès du lectorat qui est lui-même majoritairement féminin. Ce public est un public fidèle. Le besoin crée la demande et vice versa. L’apparition des réseaux sociaux a aussi joué un rôle dans la fidélisation de ce lectorat. Quand j’ai commencé à écrire, les réseaux sociaux n’existaient pas et on ne pouvait vraiment compter que sur les salons pour rencontrer nos lecteurs. Leur apparition a permis aux auteurs d’être actifs sur la promotion de leurs livres.

Vous qui avez toujours écrit des thrillers psychologiques, avez-vous ressenti l’évolution des mentalités vis-à-vis de ce genre ?

Quand j’ai commencé, le thriller psychologique était considéré comme un sous-genre. Je ne vais pas dire que les auteurs étaient méprisés, mais presque. En tout cas, on ne nous prenait pas vraiment au sérieux. Mais les chiffres de vente nous ont donné raison. Aujourd’hui, la plupart des maisons d’édition ont une collection polar. Avant, cela n’existait pas. Du côté des lecteurs, on considérait que lire un polar était une récréation. Maintenant, il n’y a plus aucune honte à lire un roman policier. C’est considéré comme de la littérature. Cela se vérifie avec l’émergence en masse des salons dédiés au polar, et puis tous les prix ! Cela contribue à offrir ces lettres de noblesse à un genre qui a longtemps été mal considéré.

Revenons à votre livre. Micheline et sa fille Charlotte sont enfermées dans des relations toxiques, parfois abusives… Dans ce roman, les hommes sont loin d’avoir le beau rôle.

C’est vrai, mais en même temps, j’égratigne tout le monde ! Le personnage de Micheline n’est pas très reluisant non plus. À contrario, les gens ont tendance à ne pas aimer Gilbert, mais au fil de mon écriture, je me suis prise d’affection pour lui. Il est autoritaire, c’est l’image cliché de l’homme d’affaires bulldozer. En même temps, il est beaucoup plus franc et direct que les autres personnages. Il a beau avoir un sacré caractère de cochon et des idées étriquées, il est droit dans ses bottes. Je crois que j’ai tout simplement décrit des personnages humains. On a tous des bons et des mauvais côtés. Forcément, dans un roman et plus particulièrement dans un thriller, tout cela est amplifié.

Le personnage de Micheline évolue beaucoup au gré des pages et pose la question : est-ce qu’être une femme intelligente dans notre société est problématique ?

De moins en moins, c’est sûr. Mais à l’époque de Micheline, c’était assurément considéré comme un problème. Ce personnage est vraiment représentatif de toutes ces femmes qui ont été obligées de sacrifier leur carrière pour leurs maris. À l’époque de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents, les femmes ne se posaient même pas la question, donc il n’y avait pas de regrets, c’était comme ça. Même la question du bonheur ne se posait pas. Aujourd’hui, c’est heureusement différent. Il y a encore du chemin, mais les femmes peuvent faire de très belles carrières. On a les moyens de prendre nos vies en main, de faire nos propres choix. En Belgique, les femmes ont pu avoir leurs propres comptes en banque à partir de 1973. J’étais déjà née à cette époque et je trouve cela fou de me dire que cette loi est passée de mon vivant. Comment les femmes auraient-elles pu faire leurs propres choix à l’époque ? Sans compte en banque, c’est tout simplement impossible.

Duelles, l’adaptation de votre roman Derrière la haine, a remporté neuf récompenses lors de la 10e cérémonie des Magritte du cinéma (équivalent des César en Belgique, ndlr). Cette consécration vous touche-t-elle ?

Oui, forcément ! J’étais dans la salle et vivre tout ça en direct était incroyable. C’est une cérémonie assez jeune puisqu’elle est née il y a dix ans, mais cela n’enlève rien au fait que c’était absolument fou. Dès que le film était nommé, il remportait la récompense. Au bout du cinquième prix, on se dit : "Bon, maintenant c’est fini". Et puis en fait ça continue ! On n’y croyait plus du tout, c’était hallucinant. J’ai lu le scénario, je suis allée sur le tournage et j’ai même fait une figuration mais je n’ai pas participé à l’adaptation. Mais même en suivant l’aventure de loin, elle m’intéressait beaucoup. Toutes les récompenses vont au réalisateur et à son équipe, mais je suis quand même extrêmement fière. On peut vraiment comparer cela à ce que ressent un parent qui assiste à la réussite de son enfant : le parent n’a pas agi activement à cette consécration mais cela n’enlève rien à sa fierté. J’ai été témoin de la réussite de mon bébé et c’était quand même vraiment chouette.


Et les vivants autour
Cela fait quatre ans que la vie de la famille Mercier est en suspens. Quatre ans que l’existence de chacun ne tourne plus qu’autour du corps de Jeanne, vingt-neuf ans. Un corps allongé sur un lit d’hôpital, qui ne donne aucun signe de vie, mais qui est néanmoins bien vivant. Les médecins appellent cela un coma, un état d’éveil non répondant et préconisent, depuis plusieurs mois déjà, l’arrêt des soins. C’est pourquoi, lorsque le professeur Goossens convoque les parents et l’époux de Jeanne pour un entretien, tous redoutent ce qu’ils vont entendre. Ils sont pourtant bien loin d’imaginer ce qui les attend. L’impensable est arrivé. Le dilemme auquel ils sont confrontés est totalement insensé et la famille de Jeanne, en apparence si soudée, commence à se déchirer autour du corps de la jeune femme…
 
Après Je sais pas et Je t’aime, le nouveau thriller de Barbara Abel dissèque à la perfection la psychologie et les émotions en montagnes russes des personnages qui gravitent autour du corps de Jeanne, inerte et si présent à la fois.

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