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Par Lisez, publié le 20/11/2018

"Infographie de la Seconde Guerre mondiale" : Jean Lopez raconte ce projet hors norme

C’est un livre exceptionnel, tant par sa forme que son contenu. Tout juste publiée chez Perrin, Infographie de la Seconde Guerre mondiale propose d’expliquer et de raconter le conflit de 39-45 en s’appuyant exclusivement sur des data. Nous avons rencontré Jean Lopez, qui a piloté ce titanesque projet.

Jean Lopez connaît le déroulement de la Seconde Guerre mondiale sur le bout des doigts. Il y a consacré de nombreux ouvrages, dont une biographie encensée du maréchal Gueorgui Joukov. Mais l’historien et journaliste (qui assure la rédaction en chef du magazine Guerres et Histoire) avait envie de raconter le conflit autrement, de l’approfondir et de le rendre lisible. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un livre qui retracerait les six années de conflit au travers d’infographies. Aidé de Nicolas Aubin et Vincent Bernard – eux-mêmes historiens – et du data designer Nicolas Guillerat, Jean Lopez a puisé aux meilleures sources internationales et a traité une masse de données d’une richesse inouïe. Le résultat est un livre novateur, passionnant, esthétique, qui examine sous un angle nouveau la Seconde Guerre mondiale. 357 cartes, 53 thèmes différents et des chiffres précis, calibrés, recoupés, Infographie de la Seconde Guerre mondiale (Perrin) repense la façon de raconter l’Histoire et prend le pari de parler à un large public. Rencontre avec l’homme à l’origine de ce livre hors norme.

Comment ce projet est-il né ?

On voulait renouveler certains aspects de l’histoire contemporaine. On s’est demandé : quelle est la source de données la plus abondante en ce qui nous concerne ? C’est la Seconde Guerre mondiale. Elle a généré d’énormes quantités de données militaires, économiques, techniques, politiques, humaines, démographiques. Ces données sont dispersées, rarement sous forme de données au sens moderne. Mais il y a cette forme archaïque, préhistorique de données que l’on appelle le livre. Donc nous sommes allés à la recherche de vieux bouquins, de vieilles séries statistiques de l’US Army, de ce qui a pu se compiler sur l’armée soviétique… on a commencé à éplucher nous-mêmes les data et à les contrôler. Car il faut évidemment les contrôler. On peut tomber sur des sources primaires ou des séries qui ont déjà été compilées par des historiens. Donc il a fallu parfois les décompiler pour comprendre comment ils avaient fait. Une fois qu’on a réussi à compiler ces données, on les a répartis entre les 53 thèmes que l’on avait choisis. On en avait plus d’une centaine de traitables mais on a réduit à 53 en fonction de la facilité et de la pertinence de nos chiffres.

Tout cela vous a pris trois ans.

On est arrivé avec 53 sujets. Pour nous, cela s’est traduit ainsi : d’abord un texte général pour chaque sujet puis une proposition sous forme de tableau faite au data designer pour pouvoir traiter différents aspects du sujet. Le data designer recevait ces éléments décomposés et les a recomposés avec ses outils de visualisation. Cela vous donne des graphiques ou des cartes de toutes formes, avec une complexité plus ou moins grande selon qu’on y introduit plus ou moins de données. Tout son travail de création, c’est de digérer toutes ces informations, d’en donner une transcription visuelle qui soit attractive et pédagogique.

L’attractivité de ce livre justement, vous l’évoquez dans l’avant-propos. Vous écrivez : "C’est un livre visuel mais il ne s’agit pas de sautiller d’un dessin à l’autre". Ça reste un livre d’histoire.

Le livre est structuré en 53 thèmes. Chaque thème est introduit par une problématique écrite et condensée. On propose une problématique, par exemple la campagne de France en 40, la division blindée allemande, les SS ou les femmes au travail. Ensuite, on décompose cette problématique en séries de data. Chacune de ces séries est ensuite introduite à son tour par un texte et dessous, on pose les data. Donc le lecteur n’est jamais abandonné. Il a la possibilité de suivre ce fil. Néanmoins, chaque lecteur va sortir des datas des choses qui peuvent être différentes et complémentaires. C'est-à-dire qu’une personne passionnée par la technologie de l’aviation va se perdre dans un gros dossier technique sur l’aviation entre 40 et 45. Elle pourra passer plus de 20 minutes sur un seul data ! Une autre personne va aller plus vite, s’intéresser à un sujet puis passer à autre chose. Il y a une façon de circuler entre les data qui est propre à chacun et au temps dont on dispose. Ça laisse une grande liberté d’approche.



En ce sens, c’est un livre d’histoire réellement novateur.

Oui, je pense que l’innovation elle est vraiment là. Aujourd’hui, le data journalisme ou le data marketing sont des instruments qui règnent dans des tas de domaines de la consommation et de la production. Nous, on voulait les adapter à l’Histoire et voir où on allait. Est-ce que l’on allait permettre de faire émerger des choses ? La réponse est oui, il y a des choses qui ont émergé très facilement. Par exemple l’apport des différents pays à la victoire ou pourquoi les Japonais ont fait une erreur énorme en attaquant Pearl Harbor. Chacun re-problématise ce qu’il a envie de problématiser.

Vérifiés, les chiffres deviennent une valeur indiscutable. Avec cette infographie, avez-vous remis en cause des faits que l’on pensait avérés ?

Ils rendent un verdict qui est souvent très catégorique. Ce ne sont pas des choses que tout le monde ignorait, nous n’avons pas cette prétention. Mais je pense que ces data rendent rapidement intelligibles des éléments importants. Par exemple, la nature de la campagne de Pologne. Les Allemands attaquent la Pologne. On a une première partie où l’on montre les opérations militaires. On pourrait s’arrêter-là et le lecteur se dirait : "D’accord, les Allemands ont gagné, les Polonais étaient moins forts". Mais en tournant la page, vous avez un autre aspect de la campagne de Pologne. Vous comprenez qu’elle était le laboratoire de ce qui va se passer en Union Soviétique deux ans plus tard, c'est-à-dire l’Europe telle que les nazis la veulent. C'est-à-dire l’élimination sélective de populations entières qui ne sont pas au début les Juifs, car ce ne sont pas eux qui sont d’abord visés en Pologne, mais l’élite de la société polonaise. Clergé, membres des professions libérales, universitaires, c’est un massacre. La deuxième chose qui saute aux yeux en continuant de regarder les data, c’est que les soviétiques ont fait la moitié du travail. Chacun de son côté, avec des idéologies différentes, ils arrivent au même résultat : ils détruisent et enlèvent sa colonne vertébrale à une nation. Cela, vous ne l’avez pas forcément dans tous les livres. Les data le résument en 6 pages, là où il vous aurait peut-être fallu un livre entier pour l’expliquer normalement. Parfois, les chiffres tombent comme un couperet.

Vous êtes spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et avez écrit plusieurs livres à ce sujet. La préparation de ce livre vous-a-t-elle permis de découvrir de nouvelles choses ?

Effectivement, il y a une chose dont je n’étais pas sûr. J’avais lu dans pas mal de livres que pour des raisons idéologiques, les nazis ne voulaient pas mettre les femmes allemandes au travail. Dans leur idéologie nataliste, ils voulaient que les femmes restent à la maison et servent uniquement de reproductrices. Quand on regarde les data et qu’on les compare avec celles des autres pays, on se rend compte que les femmes allemandes ont été mises au travail massivement, idéologie nataliste ou pas. Alors ça peut sembler être un point de détail. Mais de point de détail en point de détail, de petites touches en petites touches, on arrive à remodeler la vision de cet événement majeur qu’a été la Seconde Guerre mondiale.

À qui s’adresse ce livre ?
 

Il s’adresse à tout le monde. Je subodore qu’il va être acheté par des gens déjà très pointus sur la question, qui veulent avoir quelque chose de très complet. Mais aussi par des gens qui ne sont pas au fait de toutes les problématiques mais qui vont être attirés par l’innovation que représente le traitement visuel des données. Je pense notamment que ce sera le cas des plus jeunes. Je le remarque déjà, il y a beaucoup de 18-25 ans qui s’y intéressent parce que cette façon d’expliquer les choses leur parle.


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