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Par Julliard, publié le 26/07/2021

"Je suis vraiment un Français des branches" Azouz Begag

À l’occasion de la sortie de son roman L'Arbre ou la Maison, laissez Azouz Begag vous inviter au cœur d'un voyage initiatique pétri de tendresse et d’humanité. Rencontre.

Comment est née l’idée de ce roman ?

Tous mes romans s’appuient sur des éléments autobiographiques, même si tout n’y est pas vrai de A à… Zouz. L’Arbre ou la Maison est né d’un voyage effectué en 2019 à Sétif, la ville de notre arbre généalogique, avec mon frère aîné, en plein Hirak, la révolution du peuple algérien pour la démocratie et la liberté. Lors de ce voyage, nous avons tristement remarqué que la maison de notre père, qui attendait en vain notre retour depuis des décennies, était en passe d’être soulevée et ruinée par les racines géantes d’un arbre que mon père avait planté à l’entrée. D’où le dilemme : de l’arbre ou de la maison, que sacrifier ? Pauvre père qui s’est saigné pour que nous rentrions un jour au pays de nos racines, à l’abri des influences françaises. Il y avait dans ce dilemme une matière féconde à explorer pour un roman aérien, où Antoine de Saint-Exupéry, notre voisin lyonnais, serait invité. Il faut dire que nos voyages en Algérie ont toujours été des expéditions à fortes secousses émotionnelles… du pain bénit pour un écrivain.

Dans ce roman mêlant habilement humour et amour, vous connectez deux pays. Cette question de l’identité traverse votre œuvre depuis toujours, comment l’explorez-vous avec ces deux frères ?

À mes amis lyonnais qui se disent "Français de souche", j’ai toujours rétorqué que je suis un "Français des branches" et que nous partageons en France un tronc commun, la langue, la culture, l’amour éperdu de la liberté… Il n’y a pas d’incompatibilité. Au contraire. Mon frère et moi, comme tant d’autres gens dans le monde, nous rendons compte avec force, lors de notre retour au bled, que nous ne sommes plus de là-bas (le versant sud de notre identité) sans être vraiment d’ici, de France (le versant nord). Nous sommes en fait des entre-deux, des gens des frontières. Des hybrides. Et c’est ce statut hybride qui nous convient, au fond. Nous l’acceptons. Si tous les êtres humains se considéraient comme des frontaliers identitaires, en transit, la vie serait beaucoup plus sereine et douce sur la planète. Nos petites vies, dans l’infini, ne sont rien de plus que des allumettes qu’on craque et qui s’éteignent aussitôt. Elles défilent si vite.

Pour moi, l’identité est nomade. Elle se transforme au cours du temps, avec les rencontres – des enseignants, des compagnes, des compagnons, des amis, des artistes… – que nous faisons en chemin. Ces rencontres nous marquent à jamais. Notre identité n’est jamais un coffre-fort que nous devons charrier de la naissance à la mort en défendant mordicus son intégrité, sa "pureté", contre les altérations dues au contact des autres. Nous sommes ce que nous devenons. J’aime cette approche écologique de l’identité, un mot que je remplace volontiers par "identification" pour évoquer l’idée d’un processus constant d’élaboration.

Quant à l’humour, je suis né avec. J’adore rire. Je me laisse volontiers aller aux fous rires quand ils veulent bien m’emporter dans leur torrent. L’humour est une forme élevée d’intelligence qui n’est pas aisée à manier, mais quand des gens différents parviennent à rire, à se moquer, notamment d’eux-mêmes, et à prendre du recul par rapport à des situations a priori conflictuelles, alors nous pouvons vivre ensemble. La vie est trop courte pour qu’on la prenne au sérieux. Rire, c’est aimer. L’humour, comme l’amour, est un abandon précieux et essentiel pour une vie légère.

La langue française aussi se dédouble dans votre roman. Quel est votre rapport à l’écriture ?

Quand j’écris, c’est moi que j’écris. Je le fais souvent à la première personne du singulier pour piocher dans mon autobiographie une matière première, colorée, vivante, humaine, qui me soit familière. Quand je crée, je plonge en moi pour aller chercher des éléments de réflexion qui restent encore énigmatiques dans ma définition personnelle. J’aime par exemple explorer mon rapport aux femmes. Je les aime comme si j’étais moi-même du genre féminin. Je les comprends de l’intérieur. J’ai deux filles, cela m’aide beaucoup. Et dans ma carrière, il y a toujours eu des femmes (ma mère, une tante, mes sœurs…) pour m’encourager et me faire aller de l’avant. J’écris donc pour me laisser décrire par ce que j’écris. À l’école primaire de Lyon, j’étais doué en français. J’avais souvent des dix sur dix en rédaction. J’ignore pourquoi, alors que mes parents non francophones étaient analphabètes et que nous vivions dans un bidonville où tout le monde parlait arabe. Mes maîtresses d’école ont joué un rôle essentiel dans mon amour de la langue française. J’adorais faire zéro faute aux accords du complément d’objet direct ! Quelle bizarrerie ! J’adorais aussi réciter par cœur les poésies d’Émile Verhaeren, Henry Bosco, Joachim du Bellay (que je croyais portugais)… Les profs éberlués m’encourageaient. J’allais selon eux devenir un bon petit Français.

Aujourd’hui, lorsque je dis aux jeunes que je me suis intégré en France par la langue, ça les fait rire. En tout cas, je leur assure qu’écrire est un acte merveilleux. Un privilège inouï. Quel que soit l’endroit où je me trouve sur terre, mon imagination est en action, elle déambule devant moi comme un papillon, libre de s’attacher à ce qu’elle désire. J’aime rencontrer les gens, me nourrir d’eux, de leurs savoirs, de leurs particularismes culturels. Et quand j’aime, j’écris. Je travaille beaucoup le style jusqu’à trouver la bonne vibration des mots et des phrases, la meilleure façon de porter une émotion de mon cœur jusqu’à celui du lecteur. Et lorsqu’un de mes romans est enfin publié, quelle joie de le toucher, de le serrer entre mes doigts et de partir à la rencontre du public dans les librairies et les salons du livre de France et d’ailleurs. Finalement, à bien y réfléchir, entre l’arbre ou la maison, je préfère l’arbre, ce chemin de l’échange entre les étoiles et nous. Je suis vraiment un Français des branches.

 

L'Arbre ou la Maison
Après une longue absence et la mort de leur mère, deux frères lyonnais se rendent à Sétif pour s'occuper de la maison familiale à l'abandon. Tandis que Samy craint de retourner dans cette ville où il n’a plus de repères, Azouz veut assister à la révolution démocratique qui secoue l'Algérie. Par-dessus tout, il espère retrouver Ryme, son amour de jeunesse. Mais une fois arrivés, ils ne reconnaissent plus rien, et aux yeux des locaux, ils sont inconnus venant de France. Seul le peuplier, planté par leur père un demi-siècle plus tôt devant la maison, n'a pas bougé. Mais il a tellement poussé que ses racines en menacent les fondations. Un dilemme se pose : sauver l'arbre ou la maison. 
Dans ce roman solaire, pétri de tendresse et d'humanité, Azouz Begag confronte, avec un irrésistible sens de l’humour, la nostalgie de l’enfance à la réalité d’un pays parcouru par une soif inextinguible de liberté.

Prix « Albert Bichot » 2021

 

Julliard

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