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Par Lisez, publié le 27/02/2020

Lucie Brémeault : "Mon roman parle d'une femme qui se reconstruit après un drame"

Biberonnée à la pop culture américaine, la bretonne Lucie Brémeault voulait écrire une histoire qui rendrait hommage aux héros et aux lieux mythiques qui peuplent son imaginaire. Avec La seconde vie de Rachel Baker (éditions Plon), elle réussit son pari et publie par la même occasion un très beau roman sur la résilience. Rencontre.


Dans la vie de Lucie Brémeault, il y a d’abord eu la photographie. Et puis, un passage à vide professionnel qui la pousse à troquer son appareil photo contre l’écriture. Lectrice assidue de polars et grande admiratrice de cinéma hollywoodien, cette parisienne d’adoption commence alors à écrire le roman qu’elle aimerait lire. Ainsi est né La seconde vie de Rachel Baker, premier roman noir et mélancolique dans lequel la lumière et l’espoir creusent peu à peu leur sillon. L’histoire d’une jeune femme normale, serveuse dans un diner, qui voit sa vie irrémédiablement basculer quand trois hommes armés entrent dans le restaurant et assassinent tous les clients. Seule rescapée, Rachel commettra elle-même l’irréparable. Sur son chemin, elle croisera Nick Follers, un flic désabusé au grand cœur, et d’autres personnages – pour la majorité des femmes – qui l’aideront à se relever. Un roman sur la reconstruction de soi et qui pose l’éternelle question : peut-on avoir une quelconque influence sur notre trajectoire ?


Vous êtes Française d’origine bretonne installée à Paris depuis douze ans, et pourtant votre premier roman plante son décor en Alabama et plus particulièrement dans le milieu pénitencier américain. Écrire au sujet d’un univers qui n’est à priori pas le vôtre a-t-il été facile ou compliqué ?

Je pense que l’on n’est pas obligé de vivre là où se déroule l’intrigue de son roman. James Ellroy le dit lui-même, et si James Ellroy le dit c’est que c’est sûrement vrai. Puis à l’air d’Internet, c’est beaucoup plus facile de déplacer une fiction à l’autre bout du monde. On peut être un auteur américain et écrire un roman qui se passe à Paris, et vice versa. Je me suis beaucoup documentée, j’ai beaucoup lu, et j’ai de bonnes connaissances en cinéma et littérature américaine. C’est mon univers. À l’inverse, je ne pourrais jamais écrire une histoire qui se déroule à Paris car je connais trop bien la ville. Dans mon imaginaire, je n’arrive pas à faire le lien entre Paris, meurtres et taulards.

On ressent vraiment cet amour de la culture américaine dans votre roman. On peut même dire qu’il y a un peu de Shawshank Redemption dans votre histoire. Comment la pop culture a-t-elle nourri votre écriture ?

Je pense que comme beaucoup d’Européens j’ai toujours baigné dans la culture américaine. J’adore le cinéma hollywoodien, je lis beaucoup de littérature américaine. Donc forcément, j’écris des livres que j’aimerais lire. Tout ce que j’ai lu, tout ce que j’ai vu, c’est emmagasiné et ça ne disparaîtra jamais. Ma mère a toujours lu beaucoup de polars américains, mon père est photographe, donc j’ai baigné dans ce monde d’images et d’histoires. Tout ça a construit mon imaginaire et ça ressort dans les histoires que j’écris. Il y a forcément des références à des livres et des films que je connais par cœur.

Une grande partie de La seconde vie de Rachel Baker se déroule dans une prison pour femmes. On y croise des femmes normales qui ont dérapé, qui ont vécu des traumatismes ou qui se sont trouvées au mauvais endroit au mauvais moment. C’est un sujet difficile mais en même temps dont on parle peu – pour peu que l’on oublie Orange Is The New Black – comment l’avez-vous abordé ?

Je me suis énormément documentée, je me suis renseignée sur les prisons de haute sécurité. Mais ce n’est pas facile de trouver de la documentation sur les centres pénitenciers pour femmes, donc j’ai fait jouer mon imagination. Mais j’ai trouvé beaucoup de choses sur les hommes. J’ai appris qu’ils avaient beaucoup de problèmes dentaires, qu’ils tombaient souvent malades, qu’ils développaient aussi des pathologies liées à l’alcool… Finalement, toutes ces choses sont facilement transposables chez les femmes car elles vivent dans le même décor.

Quand le roman débute, on ne se doute pas que la majorité de l’intrigue va se dérouler au sein d’une prison pour femmes. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cet univers-là ?

Mon roman parle d’une femme qui se reconstruit après un drame. Je voulais qu’elle tombe tout en bas pour remonter. Surtout, j’avais envie qu’elle vive sa rédemption à travers des rencontres, qu’elle ne s’en sorte pas seule. Je me suis alors demandé : "Quel contexte permettra à mon héroïne de rencontrer des gens qui ont vécu les mêmes difficultés qu’elle, si ce n’est pire ?" La prison me paraissait être un univers intéressant car c’est un univers caché. Je voulais qu’elle vive un parcours initiatique et qu’elle rencontre sur sa route des gens aussi abîmés qu’elle. Choisir le milieu carcéral pour raconter l’histoire de quelqu’un qui se relève me semblait un angle intéressant.

Il y a une question qui revient tout au long des chapitres, qui est : peut-on véritablement influencer le cours de sa vie ? On pourrait presque parler d’effet papillon ou de théorie du chaos. Avez-vous eu rapidement conscience que cela allait devenir l’un des thèmes principaux de votre roman ?

Plus ou moins. Je me suis moi-même tellement posé cette question ! Je suis partie de Rennes pour m’installer à Paris et je me suis toujours demandé comment aurait été ma vie si j’étais restée. Est-ce que j’aurais été une personne différente ? Forcément, Paris m’a influencée dans des décisions. J’ai écrit ce livre à une époque où je n’avais pas fait que des très bonnes rencontres, et du coup je m’interroge : si j’avais rencontré des personnes un peu plus bienveillantes, est-ce que j’aurais écrit ce livre ? Lorsqu’on traverse des crises, est-ce de notre faute ou est-ce que l’on était obligé de les traverser ? J’ai écrit ce livre parce qu’à ce moment-là j’avais besoin de me poser ce genre de questions et je ressentais le besoin de rencontrer des gens, comme des secondes mamans ou des grandes sœurs, qui pourraient m’expliquer certaines choses. Les filles de la prison représentent tout ça. J’avais besoin de ces personnages. En même temps, elles sont un peu un bout de Rachel. Elle avait toutes ces réponses en elle mais elle avait besoin de les entendre de la bouche d’autres personnes.

Vous avez déjà commencé l’écriture d’un nouveau roman. Pouvez-vous en dire plus sur l’intrigue ?

Ça se passera vingt-cinq ans avant La seconde vie de Rachel Baker. On retrouvera le personnage de Nick alors qu’il mène sa toute première enquête. J’ai adoré écrire ce personnage donc j’avais vraiment envie de le retrouver. Ce livre sera moins mélancolique, ce sera un vrai polar avec une affaire criminelle.


La seconde vie de Rachel Baker
Rachel Baker est serveuse dans un diner perdu au fin fond de l'Alabama. Un soir parmi tant d'autres, trois hommes armés font irruption dans le restaurant et assassinent tous les clients, la laissant seule au milieu du carnage. Traumatisée, Rachel survit, à la dérive. Ses choix l'amèneront à croiser le chemin de Follers, flic bourru et sans illusions, mais aussi celui de femmes fortes qui marqueront sa vie à tout jamais.
 
D'un comptoir de restaurant à une prison pour femmes, entre colère et désir de justice, La seconde vie de Rachel Baker est un roman puissant et sensible sur la reconstruction de soi et le rapport à l’autre.

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