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Par le cherche midi éditeur, publié le 24/01/2022

Thierry Vimal : « Les victimes sont avides de donner du sens à leur douleur »

Après quatre récits autobiographiques encensés par la critique comme par le public, Thierry Vimal signe une première fiction percutante. L’histoire d’Emilio qui, à 14 ans, a survécu à l’attaque terroriste sous laquelle son père a succombé et qui cherche à trouver réparation. Un cheminement tortueux que l’auteur traverse avec beaucoup d’humanité. Rencontre.

Après 19 tonnes, également paru au cherche midi, vous entreprenez un récit où se réfléchissent les conséquences d’un attentat sur un jeune garçon, au sortir de l’adolescence. Comment avez-vous façonné Emilio, par quels moyens avez-vous pénétré dans la psyché de ce personnage si « loin » de vous ? 

Thierry Vimal : « Si loin de moi », je n’en suis pas si sûr. Déjà, j’ai été un petit garçon, puis un ado. Même si c’est à l’âge de 45 ans que j’ai connu la tragédie absolue, il ne m’a pas été difficile d’imaginer l’impact qu’elle aurait eu sur moi enfant – d’autant qu’un tel drame vient vous chercher dans tout ce que vous êtes, y compris dans l’enfant qui continue à vivre en vous. Tempérons ce « il ne m’a pas été difficile » : je pourrais tout aussi bien dire que ce fut d’une difficulté quasi insurmontable. Il a fallu creuser des sols que j’aurais aussi bien pu laisser en jachère – mais c’est ce que fait l’écrivain, l’artiste. Plus tard dans le travail d’écriture, Emilio a trouvé son indépendance, sa personnalité propre, et alors je l’ai plutôt perçu comme mon fils, ce qui, sans doute, boucle la boucle avec le décès de ma fille.

 

Il s’agit de votre premier roman de fiction. Pourquoi vous être tourné vers cette forme après avoir travaillé uniquement sur des récits autobiographiques ? Quels ont été les défis de ce virage littéraire ?

J’ai toujours dit que j’écrirais de la fiction quand mon propos nécessiterait d’en passer par la fiction, et c’est ce qui s’est produit. Ayant co-présidé une association de victimes de l’attentat de Nice et rencontré beaucoup d’entre elles, j’avais à disposition une matière qui dépassait largement celle de mon vécu – en même temps qu’elle s’y apparentait. Je voulais aussi proposer un scénario catastrophe, conséquence des défaillances de l’aide aux victimes. Il m’a fallu l’imaginer, pour mettre en garde : cette fiction deviendra probablement réalité. Une autre raison, disons-le franchement : raconter ma réalité, l’histoire de parents essayant de récupérer les organes de leur enfant décédé, aurait été trop dur pour le lecteur, voire peut-être illisible. La manière de travailler a été différente par de nombreux aspects mais mes récits autobiographiques (hormis 7 millimètres) parlaient des situations et des personnes que j’avais rencontrées, j’en étais l’œil mais pas le sujet central, ou tout au moins fallait-il savamment doser ma présence : c’était déjà complètement du travail littéraire.

 

Au titre des souffrances endurées touche énormément de sujets de réflexion, de pistes… Quelle a été votre approche dans l’écriture ? Le roman était-il très façonné ou bien vous êtes-vous laissé guider au fil de l’eau ?

Après les 1000 pages de 19 tonnes, relativement épuisé par le sujet, j’étais décidé à me lancer dans un travail radicalement différent, plus léger… Un livre écrit avant tout pour et dans le plaisir, mais je n’y étais sans doute pas prêt. L’idée de Au titre des souffrances endurées m’est venue et je me suis dit que j’allais quand même écrire ça d’abord, à toute vitesse, une écriture flash. Il m’a fallu trois minutes pour écrire le pitch que j’ai présenté à mon éditrice Marie Misandeau. Ce serait l’affaire de quelques mois. À ce moment-là, le roman était en effet très écrit, très façonné, mais l’écriture s’est avérée beaucoup plus longue et difficile que prévu, aussi bien techniquement qu’émotionnellement. Les personnages ont imposé leur caractère, de nouveaux thèmes sont apparus, de nouveaux éléments aussi – n’oublions pas que dans ma vie personnelle, mon « parcours de victime » est loin d’être terminé.

 

Le livre évoque aussi la souffrance très réelle mais peut-être moins connue de l’exclusion qu’entraîne le fait d’avoir vécu un attentat, avec cette idée que l’on habite plus exactement dans la même réalité que les autres. Il y a une folle injustice qui s’immisce insidieusement…

« La France est avec vous », « Nous ne vous abandonnerons jamais »… que de belles promesses de solidarité nous avons entendues. Elles étaient sans doute sincères sur le moment, enfantées par l’émotion des premiers jours. Et puis la vie reprend son cours, pour les autres. Que sont ces victimes qui empêchent d’aller de l’avant, qui critiquent les institutions ? On n’a plus envie de les entendre. C’est le fameux « Lèche, lâche, lynche ». Les victimes sont écartées puis rejetées. Aucun doute que les victimes d’autres agressions, sexuelles par exemple, sont soumises au même mécanisme. Le sacro-saint « temps de la justice qui n’est pas celui des hommes », les malveillances de l’organisme chargé des indemnisations, les profanations de la médecine légale… Voilà comment les institutions traitent les victimes, alors que leur vécu, leur expérience, pourraient au contraire servir à renforcer ces mêmes institutions. Et quel bien cela ferait aux victimes de faire avancer la société, elles désormais si avides de donner du sens à leur douleur.

 

La question de la précarité est également abordée de manière frontale. Même si le récit s’inscrit dans la fiction, aviez-vous la volonté de dénoncer un système ?

Dénonçons d’abord l’attentat, l’acte barbare qui vous plonge dans l’horreur, le deuil, la souffrance, pour des années. Travailler, gagner sa vie, représente une part (pas des moindres) de votre système de vie… Avec les années il s’est stabilisé, renforcé, mais pas au point de résister à l’impact d’une telle agression. Tout vole en éclat. Le temps de la sidération passée, vous savez qu’il faudra reconstruire ou mourir. Quelques-uns se jetteront dans le travail à corps perdu : leur stratégie psychique de survie. Pour d’autres, ce sera impossible : fatigue chronique, perte de sens, décalage avec les autres... Soyons réalistes : les indemnités versées par le fonds de garantie sont si longues à arriver qu’il ne faut pas compter dessus les premières années. Certains salariés pourront se mettre en arrêt maladie à long terme, mais pour d’autres, comme les indépendants, il ne restera que les minima sociaux. Plutôt que de dénoncer ce système, j’aimerais plutôt aider à sa transformation.

 

Pensez-vous regagner des terrains plus autobiographiques après cette incursion dans la fiction ?

En matière d’écriture, j’ai le sentiment d’avoir des envies et des besoins. Mon envie est clairement celle d’un livre de fiction, beaucoup plus léger, drôle même. Mais quand un besoin s’impose, il envahit tout. Alors, ce n’est pas vraiment moi qui décide s’il faudra passer par la fiction ou l’autobiographie, j’irai vers ce qui servira au mieux mon propos.

 

Au titre des souffrances endurées
À 14 ans, Emilio a survécu à une attaque terroriste et vu son père mourir sous les balles. Déscolarisé, addict aux jeux vidéo, il grandit auprès de sa mère, Serena, embourbée dans les interminables parcours médicaux, juridiques et indemnitaires liés à leur statut de victimes. Malgré sa combativité, elle s’enfonce dans l’obsession, le désespoir et la bière. La rancœur et les loyers impayés s’accumulent.
Emilio devient un jeune homme désabusé : les prétendues aides aux victimes masquent un système qui les exclut de la société humaine. C’est inacceptable : à 19 ans, il veut agir.
Du fond de ses abîmes, Serena peut-elle voir celles qui menacent son fils – la haine, les théories du complot, la radicalisation… la violence ?
 
À travers le portrait sensible d’une mère et d’un fils qui ne partagent plus que la douleur, la colère et l’amour, ce roman interroge les failles de l’engagement de la société envers toutes les victimes et dessine les limites de sa compassion.

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