La Minute Lecture : Nos coeurs disparus de Celeste Ng

Sans jamais préciser à quelle époque se situe l’intrigue, on imagine sans peine un temps pas si lointain : aux États-Unis, la Crise, avec un grand C, a frappé tous les échelons de la société. À qui la faute ? Comme à chaque cataclysme, il faut un bouc-émissaire : les responsables seront les Chinois, qu’ils soient nés ou pas en Amérique. Noah a 13 ans, sa mère, Margaret Miu, l’appelait Bird, c’est en tout cas ce dont il se rappelle. Car les souvenirs s’estompent peu à peu. Il ne l’a pas vue depuis des années : elle a un jour disparu et son père Ethan ne veut plus prononcer son nom. Qui était-elle ? Pourquoi s’est-elle volatilisée ? Bird aimerait en savoir plus mais les nouvelles lois en vigueur, liberticides et sécuritaires, l’en empêchent. Margaret est née de parents chinois, lui-même est métis, il faut se faire tout petit. Mais un jour, cette poétesse de talent qui savait si bien lui raconter de folles histoires, lui envoie un message.

Comment ne pas s’émouvoir devant cet adolescent, presque un enfant, comprenant à demi-mot qu’il faut se faire discret, obéir à son père, un homme doux et perpétuellement apeuré, linguiste distingué devenu, après la « traîtrise » de sa femme, simple employé de bibliothèque. Tous deux vivent dans la crainte de voir Bird enlevé à son foyer, comme tant d’enfants de parents « anti-américains », adoptés par d’autres familles qui sauront, eux, en faire de bons petits citoyens.

Bien sûr la résistance s’organise et c’est par hasard que Bird le découvrira. Soudain, il ne peut plus rester inactif, décide de comprendre, observe d’un œil nouveau ces réformes absurdes, sera aidé par son amie Sadie et se réveillera enfin. 

Celeste Ng sait le pouvoir des mots, ceux qui condamnent et ceux qui sauvent. Les mots griffonnés à la hâte sur les trottoirs qui disent le désespoir et la lutte. Les mots des contes de fées qui évoquent un monde lointain et consolateur. Les mots et leurs origines qu’Ethan ne se lasse pas d’étudier comme pour survivre malgré tout. Ce n’est pas par hasard si la révolte ne passera pas par les armes mais par les bibliothèques, ce berceau du savoir, là où perdurent encore les idées, la poésie, la solidarité.

Celeste Ng, inspirée par la montée de l’extrême droite aux États-Unis, par la pandémie de Covid aussi et ses mois de confinement, où les Sino-Américains, victimes de l’ignorance, ont été si souvent montrés du doigt, nous livre un récit parfois étouffant, souvent instructif, sur une société qui pourrait bientôt être la nôtre. Et la scène finale, une course contre la montre déchirante et admirable, est de celles qu’on n’oubliera pas. Jamais caricatural, d’une sincérité saisissante, Nos cœurs disparus nous rappelle ce que l’amour d’une mère est capable de braver pour sauver son fils et, à travers lui, tous les enfants du monde.

Nos coeurs disparus

Celeste Ng

Sonatine

Roman Étranger

États-Unis d’Amérique, dans un futur pas si lointain. L'existence de tous est rythmée par des lois liberticides. Tout citoyen de culture étrangère est considéré comme dangereux pour la société.
Les livres tenus pour séditieux sont retirés des bibliothèques. À commencer par ceux de la poétesse Margaret Miu, disparue mystérieusement trois ans plus tôt. Bien décidé à la retrouver, son fils, Bird, aidé par un réseau clandestin de bibliothécaires, va peu à peu prendre conscience du sort des opprimés et de la nécessité impérieuse de porter leur voix.

Celeste Ng est de retour avec un nouveau roman bouleversant d'humanité et d'actualité. Porté par une écriture lumineuse, Nos cœurs disparus raconte le destin d'une famille en lutte pour raviver l'espoir et la justice dans une société qui a cédé au pire des conservatismes.

Rentrée littéraire 2023
 

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