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Par Sonatine, publié le 02/08/2018

Trois questions à David Joy autour de son deuxième roman

David Joy est un jeune auteur qui vit dans le comté de Jackson, en Caroline du Nord. Adepte de ce que l'on appelle le rural noir, il nous livre ce qui fait la force de ses deux romans, Là où les lumières se perdent (2016) et Le Poids du monde (2018).

Dans Là où les lumières se perdent et Le Poids du monde, vos personnages ne parviennent pas à échapper à leur condition. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Je crois que l’espoir est souvent le bénéfice direct d’une condition sociale privilégiée. Il peut être très difficile d’envisager positivement l’avenir, n’importe quel avenir, quand votre survie quotidienne n’est pas assurée. Il y a un poème de l’une de mes auteures préférées, originaire du Kentucky, Rebecca Gayle Howell, intitulé My Mother Told Us Not to Have Children, dans lequel elle demande : "La gentillesse est-elle le bien des privilégiés ?" puis répond : "À cet égard, les miens étaient pauvres / Nous nous battions pour manger et nous nous battions les uns contre les autres car / Nous étions las de nous battre. Nous n’avions pas le temps / de partager. À la place, notre richesse était l’honnêteté / qui n’est pas la tendresse." C’est comme ça que sont mes personnages. Mais je veux aussi qu’il y ait de l’honnêteté et de l’humanité. Je veux explorer les endroits les plus sombres que je puisse imaginer et essayer de trouver des histoires universelles.

Tous vos romans se déroulent dans les Appalaches. Pourquoi cette région est-elle si importante pour vous ?
Quand je m’assieds pour commencer une histoire, la toile n’est pas blanche, il y a déjà un lieu. Il y a déjà des montagnes, des ruisseaux, des bâtiments et des routes, si bien que, quand un personnage finit par émerger, ce n’est pas de nulle part. Il vient de cet endroit, il a déjà un nom, un accent et des manières qui sont directement liés à la terre sur laquelle il est né. Cet endroit, pour moi, c’est le comté de Jackson en Caroline du Nord, car c’est le seul que je connaisse. À bien des égards, cela facilite grandement l’écriture : je n’ai pas à créer d’environnement. Le lieu est déjà là. Je le vois. Je peux le toucher. Je le connais. Je peux aller chercher mon courrier en voiture et m’imaginer mes personnages marchant le long du fossé.

Mais je n’écris pas des livres sur le comté de Jackson. Ni sur les Appalaches. J’écris des histoires qui parlent de désespoir. J’écris de la tragédie. J’écris le genre d’histoires que j’aime lire, des histoires où le moindre soupçon de privilège est effacé si bien que tout ce qui nous reste, c’est une amère humanité, des histoires de vies qui oscillent d’un extrême à l’autre car il n’y a rien à part la survie pure et simple. C’est la condition humaine, et c’est au bout du compte ce que j’essaie de capturer.

Pouvez-vous nous dire quelles sont vos influences en matière d’écriture ?
Je crois que la plupart de mes influences sont classiques pour une personne qui écrit du rural noir. J’ai toujours aimé Faulkner, Flannery O’Connor, Eudora Welty et Cormac McCarthy. J’adore le travail de Larry Brown, William Gay, Ron Rash, Harry Crews et Donald Ray Pollock. Pendant l’écriture de Là où les lumières se perdent, j’étais obsédé par Daniel Woodrell, particulièrement le roman La Fille aux cheveux rouge tomate. Je l’ai lu et relu pendant des mois. Je n’arrêtais pas de relire le chapitre d’ouverture en essayant de comprendre comment il pouvait faire avancer un récit avec cet élan et cette force. Je crois que dans mon premier roman, en particulier, j’essayais d’imiter de nombreuses choses que j’adore chez Woodrell. Mais pour être honnête, je lis plus de poésie que de fiction. Je lis beaucoup Wendell Berry et Maurice Manning. Je suis attiré par la langue de la poésie, sa musicalité, son obsession pour l’image. Je me rends compte aussi que ces temps-ci je passe plus de temps à relire qu’à chercher des nouveautés. Je lis Jim Harrison quotidiennement. Je crois que si je devais vivre pour le restant de mes jours avec l’œuvre d’un seul auteur, ce serait la sienne. Harrison était un monstre absolu sur la page. Je ne vois pas d’autre auteur qui ait été capable d’osciller entre poésie, roman et non-fiction avec une telle grâce.

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