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Par Julliard, publié le 29/07/2021

"La question de la métamorphose et de l'éthique associée s'est imposée" Boris Le Roy

Avec son roman Celle qui se métamorphose, Boris Le Roy explore le mystère de la féminité et met en scène la nécessité d’une réinvention permanente de soi dans la relation à l’autre. Rencontre.

 

Comment est née l’idée de ce roman ?

J’ai encore du mal à dévoiler d’où m’est venue réellement l’idée de mon roman. C’est une question intime. « D’après une histoire vraie », précise le narrateur au début du récit. Il faut lire le roman pour comprendre en partie quelle en est l’origine, et je ne voudrais pas trop révéler l’histoire. En revanche, je peux raconter une anecdote qui me semble constituer un premier germe de l’idée. La première métamorphose à laquelle j’ai cru assister s’est produite pendant que j’apprenais à lire et à écrire. Enfant, je vivais au sein d’une communauté installée dans une bastide qui appartenait à Félix Guattari, le compère de Gilles Deleuze. Des femmes se relayaient pour me faire la dictée ou la lecture de Don Quichotte et autres mythes fondateurs. Les visages et les voix se multipliaient. Aujourd’hui, j’associe en partie l’écriture de fiction à la multiplicité de ces visages. Peut-être est-ce une libre association a posteriori. Je ne sais. Une chose est sûre, ces expériences communautaires, ces aventures humaines, qui mêlaient passions amoureuses et révolutions dites « moléculaires », font partie de moi. J’ajouterai que j’ai développé l’idée de ce roman en réaction au précédent, L’Éducation occidentale (Actes Sud, 2019), dont la préparation au Nigéria et l’écriture ont été aussi fascinantes qu’éprouvantes. Il m’a été nécessaire de me consacrer à un projet plus ludique, plus léger, en tout cas en apparence, pour poursuivre ma réflexion sur certaines obsessions que j’avais abordées dans mon deuxième roman, Du sexe (Actes Sud, 2014), autour du féminisme, de la complémentarité homme-femme, du rapport au couple, à l’autre. Une question m’intriguait : comment les changements d’une même personne avec laquelle on vit ou, inversement, la multiplicité des différentes personnes qu’on peut rencontrer nous éprouvent-ils, et nous permettent-ils de changer à notre tour, tout en gardant une identité propre ? La question de la métamorphose et de l’éthique associée s’est imposée. J’ai ensuite déroulé l’écriture avec le plus de transparence et d’abandon possibles. C’est l’histoire de la déconstruction d’un homme, d’un auteur, pour la construction d’un récit.

Votre roman, véritable fantaisie littéraire, conjugue plusieurs univers, notamment celui de Gros-Câlin d’Émile Ajar ou encore celui des nouvelles de Borges. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?

Je tiens d’abord à préciser que les références qui vont suivre ne doivent pas être connues des lectrices ou lecteurs pour qu’ils apprécient l’histoire, même si leurs échos peuvent ajouter de la saveur au texte. J’ai été inspiré par Borges pour sa capacité à nous entraîner dans des mondes et des systèmes de pensée ahurissants avec une malice et une intelligence déconcertantes. Concernant Émile Ajar, ou plutôt Romain Gary, je me souvenais de la tonalité hilarante du narrateur de Gros-Câlin, que j’ai relu pour l’occasion, de l’apparente naïveté et du discours serpenteux qui raconte un amour pour un python. D’autres classiques m’ont inspiré : certaines métamorphoses d’Ovide, celles d’Écho et de Narcisse, pour la question du rapport à l’autre ; Le Procès de Kafka, davantage que La Métamorphose, pour la condition absurde dans laquelle le narrateur se trouve quand la justice le rattrape ; Le Double de Dostoïevski et Le Maître et Marguerite de Boulgakov pour la frontière mince qu’il peut y avoir entre le fantastique et la métaphysique ; Lolita de Nabokov pour la virtuosité du style qui induit une empathie franchement discutable ; on pourrait même citer Belle du Seigneur d’Albert Cohen pour la folle et passionnelle histoire d’amour ; plus proche de nous, La Moustache d’Emmanuel Carrère, pour la possibilité d’une lecture schizophrène ; enfin, Philippe Roth et Woody Allen m’ont accompagné avec leur humour ashkénaze et leur rapport « complexe » aux femmes…

Votre héros, Nathan, redécouvre chaque matin sa femme qui ne cesse d’être une autre. Comment avez-vous construit ce personnage féminin en constant mouvement ?

Même si je me suis inspiré de mon histoire personnelle, aussi bien des changements d’une même femme avec laquelle je partageais ma vie que de l’invariabilité des schémas que je reproduisais dans mes diverses rencontres, je dois dire que le dispositif littéraire m’a entraîné dans des situations imprévues, bien plus riches que celles que j’avais pu vivre. L’histoire vraie plie sous le principe de causalité d’un tel dispositif. Le narrateur est certes victime des métamorphoses, mais son inconscient en produit les contours, les caractéristiques. Il est donc victime de lui-même avant de l’être de sa compagne. Grâce aux métamorphoses, il devient sensible aux changements du monde. Il mute à son tour. Cette femme est en partie la métaphore d’un monde en mutation. C’est le monde qui est en constant mouvement. Et à certaines époques de l’Histoire, le mouvement s’accélère. C’est le cas aujourd’hui. S’agissant du rapport homme-femme, la nécessaire mutation de l’homme est plus lente que celle de la femme. J’ai beau avoir grandi dans un milieu militant féministe, je sais que je suis mal placé pour aborder la question, puisque je suis un homme, blanc, bientôt quinqua, occidental et hétérosexuel. Certains hommes, même féministes, sont aussi heureux que déroutés par les mutations actuelles. Ce texte traite de cette heureuse déroute.

Celle qui se métamorphose
 
Nathan se réveille aux côtés d’une femme qui n’est « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre » – en tout cas pas exactement la sienne. S’agit-il d’une hallucination ? Une consultation psychiatrique s’impose pour le pauvre Nathan, d’autant qu’au fil de cette histoire, remettant en question toutes ses certitudes, Anne ne cessera de se métamorphoser, jusqu’à se démultiplier, voire se volatiliser, avant qu’il soit accusé de l’avoir fait disparaître…
Avec cette fantaisie littéraire, Boris Le Roy explore le mystère de la féminité et met en scène la nécessité d’une réinvention permanente de soi dans la relation à l’autre. Entre comédie psychanalytique, fable surréaliste et digression philosophique, ce roman aussi inclassable que jubilatoire nous entraîne vers les régions inexplorées de l’inconscient et interroge notre rapport au monde en pleine mutation.

 

Julliard

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