Encensé par la presse française, La Splendeur et l'Infamie ne cesse de fasciner les lecteurs d’ici et d’ailleurs. Pour se plonger un instant encore dans le quotidien passionnant de Winston Churchill, nous nous sommes entretenus avec l’auteur du livre, Erik Larson. Confidences sur un chef d’État hors normes.
Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire sur Winston Churchill en premier lieu ?
À vrai dire, je n'avais pas prévu d'écrire sur lui. Mon objectif initial était de trouver un moyen de raconter la façon dont les Londoniens avaient survécu aux raids aériens allemands de 1940-41. Il y a six ans, lorsque ma femme et moi avons déménagé à Manhattan, je me suis soudainement rendu compte que les New Yorkais portaient le 11 septembre en eux d’une façon très différente de la nôtre, j’ai constaté à quel point il avait été percutant et viscéralement choquant de voir leur ville natale ainsi attaquée. J’ai immédiatement pensé à ce qu’on appelle le Blitz, cette période où Londres a été bombardée pendant 57 nuits d'affilée, autrement dit 57 « 11 septembre » consécutifs, suivis de nombreux autres raids en 1940 et jusqu'en 1941. Je me suis demandé, étant donné le traumatisme durable provoqué par le 11 septembre, comment les gens avaient pu endurer une telle situation. J'ai d'abord envisagé de raconter l'expérience d'une famille londonienne typique des années 40 puis j’ai pensé à la famille londonienne par excellence, les Churchill.
Comment avez-vous mené toutes les recherches nécessaires ? Quels types de documents avez-vous parcourus ?
Écrire sur Churchill était une perspective intimidante, étant donné que tant de choses avaient déjà été écrites à son sujet. J’ai peut-être bêtement imaginé que je pourrais proposer quelque chose de nouveau, même si la seule nouveauté tenait dans mon approche du récit de non-fiction. De plus, j'ai découvert qu'assez curieusement personne ne s'était encore concentré sur la vie personnelle des Churchill pendant cette période, à savoir la façon dont leurs conseillers et eux menaient réellement leur vie quotidienne : ce qu'ils mangeaient et buvaient, comment ils passaient leur journée, comment ils sont parvenus à rester en vie…
Avec cet objectif en tête, j'ai pu parcourir de grandes quantités de documents d'archives et mettre la main sur des éléments négligés par d'autres écrivains qui s’étaient intéressé à des aspects différents. Le Churchill Archives Center, au Churchill College à Cambridge, m’a fourni une mine de détails sur Churchill, sa femme, sa famille et sur les éléments qui les concernaient. J’ai trouvé dans les Archives nationales du Royaume-Uni une autre source formidable ; j'ai appris toutes sortes de choses mystérieuses sur la façon dont cette famille vivait pendant cette période. Par exemple, j'ai parcouru des documents du Ministère des travaux publics qui détaillaient comment les Churchill avaient réussi à déplacer leur cave à vin à Chequers Court, le domaine de campagne du Premier ministre, malgré les restrictions de rationnement, ainsi que d'autres dossiers qui révélaient que la résidence avait un sérieux souci de… lapins.
Quels éléments de la vie de Churchill vous ont le plus surpris lors de vos recherches ?
Je n'ai jamais été un fin connaisseur de Churchill, donc j’ai appris un grand nombre de choses surprenantes. Ce qui m'a le plus étonné, c'est que Churchill était quelqu’un de très amusant à côtoyer. Il pouvait se montrer impoli et peu délicat, mais il savait aussi s'amuser. Il aimait danser, défiler sur de la musique militaire jouée sur son gramophone, raconter des histoires salaces et chanter ; ses chansons préférées étaient celles du Magicien d'Oz. Il était apprécié de son équipe.
Le récit est très vivant. Comment avez-vous travaillé le rythme et le suspense, de surcroît pour une histoire dont on connaît tous l’issue ?
L'une des choses les plus belles dans la lecture, c’est que lorsqu’une histoire est suffisamment bien racontée, les gens s’oublient et plongent dans le passé comme s'ils en faisaient partie, le vivant comme les gens à l'époque, sans connaître l’issue.
Pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur Mary, l’une des filles de Churchill ? Qu'est-ce qui vous fascinait tant chez elle ?
C’était exactement le genre de « personnage » de la vie réelle que j’espérais trouver dans mes recherches. En effet, son journal donne une idée réaliste de la façon dont les gens vivaient pendant la campagne de bombardements allemande – comment la vie quotidienne s’est poursuivie, même sous les bombes. Elle offre le point de vue incroyablement intelligent et bien écrit d'une jeune fille de 17 ans qui se trouve être la fille du Premier ministre. J'ai eu beaucoup de chance de pouvoir lire son journal car c'était initialement interdit aux chercheurs, mais heureusement la fille de Mary, Emma Soames, m'y a donné accès. Sans Mary, le livre aurait été très différent et franchement beaucoup moins intéressant. D’ailleurs, son journal sera publié sous forme de livre l'année prochaine.
Directement classé numéro un des ventes à sa sortie en Angleterre et aux États-Unis, La Splendeur et l’Infamie a été élu meilleur livre de l’année par le Washington Post et désigné par Barack Obama comme l’un de ses titres préférés de 2020. Des honneurs justifiés au vu de la qualité de ce livre qui se dévore comme un roman.