Les hirondelles de Kaboul - NE 2019 : Le livre de Yasmina Khadra

L'horreur du régime des Talibans couché sur le papier. Nous sommes en Afghanistan, et suivons deux couples : Zunaira et Mohsen / Mussarat et Atiq. En immersion totale, nous pouvons ressentir la chaleur écrasante, la terreur dans les rues, la frustration et la désolation des habitants de Kaboul. La violence des Talibans vient polluer les esprits de chacun, et peu à peu, nul ne parvient plus à se reconnaitre. Atiq et Mohsen perdent la tête et plongent dans la violence, Zunaira et Mussarat se voient retirées leurs droits et humanité. J'ai été profondément touchée et horrifiée par la fin de ce livre. Un sacrifice contre une lueur d'espoir, pour qu'il ne reste plus que des âmes errantes. L'objectif n'est pas de s'attacher aux personnages ou de trouver de l'action dans cette lecture, mais de comprendre, de plonger dans leurs esprits et d'observer le terrain gagné par la violence dans la destruction de la paix, de l'espoir et de la douceur. "Alors Kaboul, que la folie guette, n'a plus d'autres histoires à offrir que des tragédies" disait le synopsis.

C’est la première fois que je lis un livre de cet auteur tant apprécié et je dois dire qu’il m’a aussi convaincue. J’ai trouvé sa plume particulièrement juste, envoutante et prenante. J’avais la constante impression d’y être, d'être plongé dans le quotidien de ces hommes et de leurs épouses. Il nous plonge dans un récit glaçant de la vie de quatres personnes durant la première période du gouvernement des talibans. Ces récits font froid dans le dos, on peine à imaginer, à croire que cela n’est que la description d’une réalité déjà passée. Un récit poignant que tout le monde devrait lire un jour. Les personnages sont particulièrement bien écrits, chacun avec un caractère, une vision complexe de leur vie, de leur existence. J’ai beaucoup apprécié que l'auteur mette en lumière des pensées, des actions parfois très négatives à travers ses personnages, cela rend le récit encore plus vrai. Petit coup de coeur pour le prisme du féministe abordé à travers Zunaira et Mussarat que j’admire beaucoup car elles sont restées elles mêmes malgré leur nouvelle vie, malgré l’oppression. Je m’attendais pas à être vraiment surprise concernant l’intrigue mais je dois dire que la fin est incroyablement surprenante. Et la tension qui réside dans les derniers chapitres était formidable.

1998. Kaboul suffoque. Détruite par dix ans de guerre soviéto-afghane, ravagée par les bombardements, la ville agonise au cœur d’un champ de ruines. Ses habitants sont livrés à la plus extrême misère. Kaboul est dans un état de décomposition tellement avancé que ses rues dégagent des remugles d’outre-tombe. Les corbeaux rôdent. Pourtant, avant l’invasion soviétique et son armada de fin du monde, Kaboul était une ville traversée d’un joyeux brouhaha, parfumée de rires, intensément vivante. Soudain le ciel afghan s’est couvert de rapaces blindés. « Sa limpidité azurée fut zébrée de traînées de poudre et les hirondelles effarouchées se dispersèrent dans le ballet des missiles. » A présent Kaboul est désertée. Les gens meurent, les rues sont pleines de veuves et d’orphelins, de vieillards et de mendiants. Et de talibans aussi. La situation a empiré après que les talibans se sont emparés du pouvoir. « Portant dans le regard la noirceur de la nuit des temps », ils ont brutalement imposé leur régime destructeur des droits humains fondamentaux. Le port du tchadri a été rendu obligatoire pour les femmes, claquemurées sous un voile grillagé assassinant leurs libertés individuelles. A Kaboul, les hirondelles ont les ailes coupées. « Les joies ont été rangées parmi les péchés capitaux » et ont fait place aux exécutions publiques et à leur cortège d’horreurs : pendaisons, lapidations, hystérie collective, brutalisations en tous genres. Désormais les enfants vivent en meute et traquent les chiens errants à coups de cailloux, s’initiant fatalement aux lynchages des hommes. Dans ce monde incapable de revenir à la raison, il semble n’y avoir plus une once d’espoir et d’humanité. Tout au plus les habitants nourrissent-ils pour se consoler le rêve de fuir loin, bien loin, en sachant au fond d’eux qu’ils ne le feront jamais. Anéantie par la folie des hommes, Kaboul est une ville damnée. « Et pourtant, c’est ici, dans le mutisme des rocailles et le silence des tombes, parmi la sécheresse des sols et l’aridité des cœurs, qu’est née notre histoire comme éclôt le nénuphar sur les eaux croupissantes du marais. » La beauté peut-elle subsister au cœur du chaos ? Quel avenir pour les hirondelles de Kaboul quand, de toutes parts, la violence et la mort les traquent ? Il est pourtant question de poésie et d’amour dans cette histoire. Un conte noir fleurit sur le terreau des pires exactions dont l’homme soit capable. L’humanité jaillit au cœur même de la déshumanisation, avec la même fulgurance qu'elle a été sauvagement piétinée. « Les hirondelles de Kaboul » ont la force terrifiante et l’horreur sublime des grandes tragédies. Deux couples se déchirent dans la tourmente, prisonniers de l’hystérie collective qui règne autour d’eux. L’étau obscurantiste ne cesse de se resserrer. Cette plongée au plus profond de la folie outrenoire des hommes nous fait descendre loin, très loin dans des ténèbres infernales. L’écriture poétique et sensorielle de Yasmina Khadra saisit le lecteur à la gorge dès le premier versant du récit. L’auteur décrit minutieusement l’effroyable atmosphère de déréliction qui règne à Kaboul. Les abominations les plus impensables s’enchaînent, nous propulsent au cœur de ce monde en destruction. Yasmina Khadra ne se contente pas de planter le décor : de son écriture puissamment évocatrice, il fait vivre Kaboul ; il nous fait prendre le pouls de cette ville, qui bat encore faiblement et lutte pour ne pas s’éteindre définitivement. Le second versant, nettement plus romanesque, anime des personnages qui luttent pour la survie de leur humanité, aux prises entre deux pulsions contradictoires, élan de vie et de mort entremêlés. C’est poignant. L’espoir disparaît, renaît, puis s’envole inéluctablement. Cette histoire aussi brève qu’intense fait résonner dans la nuit un lumineux cri de révolte. A la fois réquisitoire indigné contre l’extrémisme religieux et vibrant plaidoyer pour la liberté et la tolérance, « Les hirondelles de Kaboul » nous offre en particulier deux beaux portraits de femmes, splendides fleurs de nymphéas cernées de toutes parts par le marais pestilentiel sur lequel elles s’épanouissent avec grâce. Un incontournable de Yasmina Khadra, à lire absolument.

Certains livres ne se lisent pas comme les autres. Ils ne se contentent pas de raconter une histoire, ils vous laissent un goût dans la bouche, un poids dans la poitrine… Les Hirondelles de Kaboul fait partie de ces livres-là. Ce n’est pas une lecture que j’ai faite à la légère, et j’en suis ressortie un peu différente. Dès les premières pages, on sent la chaleur suffocante, la poussière, l’ombre du régime taliban qui plane sur chaque mot, chaque silence. Kaboul n’est pas ici une ville exotique ou lointaine : c’est une ville étouffée, brisée, où les hommes comme les femmes ne respirent plus, ou très peu, et seulement en secret. Ce roman m’a saisie par cette tension constante entre ce qui est dit et ce qui ne peut plus l’être. Les personnages… Mon Dieu. Zunaira m’a bouleversée. Elle est belle, libre d’esprit, mais elle se retrouve enfermée dans un monde qui l’écrase. Et puis il y a Mohsen, son mari, tiraillé entre ses idéaux et une réalité qu’il ne maîtrise plus. Le moment où il commet l’irréparable, dans un élan de foule, m’a figée. Ce geste, d’apparence absurde, est d’une violence crue, mais il est aussi tellement humain dans sa contradiction. C’est ce que j’ai trouvé magnifique et douloureux à la fois : Yasmina Khadra ne juge pas, il montre l’humain dans toute sa complexité, ses lâchetés, ses éclats de lumière. Ce qui rend ce roman si fort, c’est justement cette humanité. On pourrait croire que dans une ville ravagée par la guerre, la place pour l’amour n’existe plus. Et pourtant, elle est là. Fragile, bancale, presque impossible… mais elle résiste. À sa façon. La fin m’a brisée. Pas seulement à cause de ce qui arrive, mais à cause de ce que cela révèle sur la beauté tragique du sacrifice, de la dignité dans un monde qui ne la reconnaît plus. Le style est sobre, presque épuré. Pas de grandes phrases, pas d’effets de manche. Juste la vérité des émotions, à vif. Et c’est cette simplicité qui m’a le plus touchée.